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JARDINS Esthétique et philosophie

Comme le rappelle Pierre Grimal, l'apparition des jardins suppose une agriculture qui, maîtresse de ses techniques, ne produit pas seulement des plantes vivrières : « ces cultures s'adressent moins aux humains qu'aux divinités », car, « en ses origines », le jardin est inséparable du sacré. Les jardins de Babylone dédiés à la déesse Ishtar possèdent d'emblée une dimension esthétique. La beauté des fleurs ou des arbustes ornementaux est perçue comme un moyen d'atteindre cette déesse, dans la mesure où ils frappent les sens de celui qui les parcourt. Néanmoins, le luxe déployé au nom de croyances religieuses s'oppose au détachement de celui qui aspire à la sagesse sans la posséder. Le caractère esthétique et la dimension symbolique du jardin contreviennent à la connaissance rationnelle de l'homme et de la nature que vise le philosophe. Il paraît impossible que les premiers jardins soient liés à une discipline qui leur est postérieure, ses premiers principes se définissant au ve siècle avant J.-C. C'est à partir de cette période que la question de la rencontre entre jardins, esthétique et philosophie devient pertinente. Pour y répondre, il faut cerner les problématiques à partir desquelles cette union inattendue se réalise.

Des parcs pour la philosophie et la beauté

Il est admis que les cités grecques de l'Antiquité n'abritent pas de jardins dévolus au seul plaisir des hommes, qu'elles disposent de quelques plantations autour des temples auxquelles s'ajoutent, à l'extérieur, des bois sacrés. À l'époque classique, les jardins de l'Académie où Platon enseigne, ceux du Lycée auxquels Aristote est attaché et le Jardin, qu'Épicure rend célèbre à Athènes, accueillent pourtant la première rencontre entre les jardins, l'esthétique et la philosophie.

Au chant XXIV de l'Odyssée, Homère met en scène un verger qui semble bien proche de ceux que les Grecs cultivent à cette période de l'histoire. Le poète relate comment, après en avoir fini avec les prétendants, Ulysse est identifié par Laërte. La cicatrice inscrite sur le corps d'Ulysse ne suffit pas mais, dès l'instant où le fils nomme les arbres fruitiers que son père lui avait donnés, le doute n'est plus permis. Le verger, nourricier par définition, se fonde sur l'acceptation du temps naturel et cyclique des saisons, et non d'un temps événementiel et proprement humain dont la violence de la guerre marque l'hyperbole. Il n'en demeure pas moins un lieu où, le corps ne suffisant pas à l'identification du fils par le père, la filiation par génération cède place à une reconnaissance symbolique. Le verger renvoie à une sagesse qui reste à mi-chemin entre le respect de l'ordre de la nature et l'établissement de règles spécifiquement humaines. Par la suite, les jardins de l'Académie, destinés au culte comme au sport, sont dépourvus de vocation vivrière et sont solidaires d'un enseignement où l'on apprend, comme dans le Gorgias de Platon, que les lois régissant les êtres humains ne sont pas fondées en nature. Ces jardins-là, voués à la philosophie platonicienne, rompent avec la sagesse qu'incarne le verger de l'époque archaïque.

Ils sont connus par des descriptions si tardives – celle de Plutarque, par exemple –, qu'il est difficile de dire s'ils sont beaux et s'ils touchent les sens grâce à une recherche ornementale. Mais ils servent de cadre à la rencontre entre des préoccupations esthétiques profanes et la philosophie. Les Grecs ne conçoivent pas une éducation de l'esprit indépendante de celle du corps : la parole philosophique y côtoie le sport et, dans le Phèdre (vers 370 avant J.-C.), Platon explique que la philosophie consiste à transformer le désir qu'on éprouve pour la beauté[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, École des hautes études en sciences sociales, titulaire d'un D.E.S.S. en jardins historiques, patrimoine et paysage, École d'architecture de Versailles, professeur de philosophie

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