JARDINS Esthétique et philosophie
L'enquête sur la nature
En tant que connaissance rationnelle de la nature, la philosophie croise le jardin dans l'œuvre de Théophraste qui, héritier d'Aristote et du Lycée, observe les plantes. Et si l'esthétique n'est pas au rendez-vous dans Les Recherches sur les plantes, on peut supposer que les planches accompagnant le De Materia medica de Dioscoride Pedanius (élève de Théophraste), dont l'original date de l'an 60 de notre ère, ne sont pas de simples illustrations. Même si ces dernières ne sont pas parvenues jusqu'à nous, les commentaires de Dioscoride par Pietro Andrea Mattioli, publiés en 1544, renforcent cette hypothèse : lors de sa réédition, cette œuvre comporte mille deux cents gravures...
Cette rencontre-là se place sous l'auspice d'un jardin qui est plus qu'un cadre où s'élabore une philosophie soucieuse de l'Idée du Beau, puisque les plantes deviennent objet d'enquête pour la philosophie naturelle et source de délectation. Dès lors, le problème tient à l'autonomie que ces partenaires vont trouver. Le caractère esthétique des plantes est vite apprécié pour lui-même, leurs représentations sont au-delà de ce que la philosophie naturelle attend de simples illustrations. N'est-ce pas ce qui frappe, dès les années 1500-1503, dans les superbes aquarelles de Dürer, notamment dans La Grande Touffe d'herbe (Albertina Museum) ? Un pas de plus est franchi avec la naissance du jardin d'agrément qui, tout en renforçant l'ancienne opposition du jardin au verger, marque un rapprochement entre jardin et esthétique. Dans une lettre datée de 1541, Jacopo Bonfadio énonce que, « pour les jardins », « la nature incorporée à l'art est devenue artifice, et de même nature que l'art ». Comme l'art, cette « troisième nature » ne se réduit pas à ce qui est sauvage ou transformé par l'homme à des fins nourricières : le plaisir est sa finalité. En 1592, Gregorio de los Rios, jardinier de Philippe II d'Espagne, pose les principes d'un tel lieu, dévolu à l'agrément, dans l'Agriculture des jardins. La philosophie, en tant que connaissance rationnelle des plantes, n'est plus de mise dans ces jardins-là.
Quant à la connaissance rationnelle, l'étude des végétaux considérés en eux-mêmes, elle s'infléchit dès Dioscoride vers l'herboristerie et la médecine. Les premiers jardins « botaniques » portent le nom d'hortus medicus, ainsi celui que Charles de l'Écluse compose à Leyde, en 1587, est rattaché à l'université. Le plaidoyer que le médecin Guy de la Brosse adresse à Louis XIII, pour créer notre actuel Jardin des plantes (réalisé à partir de 1635), porte sur la nécessité de connaître les herbes pour améliorer la pratique de ceux qui ne jurent que par la saignée. Et quand, dans son Discours sur les progrès de la botanique au Jardin Royal de Paris (1718), Antoine de Jussieu plaide pour une connaissance tirée de la nature, il prône une étude rationnelle des plantes distincte de la discipline que les philosophes avaient fondée. À ses yeux, les balbutiements des Anciens et leurs ouvrages sont source d'erreurs. Là encore, la philosophie n'est plus requise.
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Écrit par
- Catherine CHOMARAT-RUIZ : docteur en philosophie, École des hautes études en sciences sociales, titulaire d'un D.E.S.S. en jardins historiques, patrimoine et paysage, École d'architecture de Versailles, professeur de philosophie
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