JARDINS Sciences et techniques
Par essence, le jardin tient à la fois de la nature et de l'artifice. Dualité fondamentale qui implique, entre autres, que cette forme très spécifique de création mobilise aussi bien un ensemble de connaissances spéculatives sur l'environnement et le vivant qu'une série d'opérations concrètes. L'art des jardins applique et, dans de nombreux cas, contribue à élaborer une panoplie de savoirs et de savoir-faire. Si cette panoplie se modifie en fonction de chaque contexte culturel, l'histoire montre que la conception des jardins a presque toujours tendu à accueillir de manière privilégiée les innovations les plus récentes et à refléter les préoccupations les plus actuelles. Cette vocation est notamment mise en évidence par la présence récurrente d'objets technologiques d'avant-garde ayant valeur de curiosités, comme la machine à vapeur, l'une des premières en France, que les frères Périer, à la fin du xviiie siècle, installèrent dans le parc du duc d'Orléans au Raincy. Le jardin possède ainsi une forte dimension expérimentale, devenant parfois, comme dans La Nouvelle Atlantide (1627) de Francis Bacon, une sorte de laboratoire à ciel ouvert. C'est à travers tout le processus de sa mise en œuvre que l'on peut suivre la manière dont il s'articule avec les sciences et les techniques.
Théorie et pratique
Objet d'une véritable redécouverte depuis le regain d'intérêt pour les jardins à partir des années 1970, ces savoirs et ces savoir-faire présentent en fait un degré de complexité qui pose la question de leur transmission à travers le temps. Celle-ci peut tout d'abord s'appréhender par le truchement de leur codification. Supports de cette « mise en art » (reducho in artem), les traités montrent ainsi comment la réalisation des jardins, traditionnellement rattachée à l'agriculture, s'en émancipe au cours du xviie siècle. Énumérant les qualités nécessaires au jardinier dans son Traité du jardinage selon les raisons de la nature et de l'art (1638), Jacques Boyceau de la Barauderie cite la connaissance du sol, du climat et des plantes, mais aussi la maîtrise du dessin et de la géométrie, ainsi qu'une bonne familiarité avec l'architecture. La Théorie et la pratique du jardinage d'Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville comprend, dans son édition la plus complète (1747), une partie entièrement consacrée à l'hydraulique, qui fait écho à l'Architecture hydraulique (1737-1739) publiée par Bernard Forest de Bélidor. Mais au-delà des appareils de concepts et de préceptes énoncés dans l'ensemble du corpus théorique, qui s'étend, pour la langue française, au moins du Ménagier de Paris (1393) jusqu'aux plus récentes publications de Gilles Clément, réside, plus impalpable, la part d'une culture matérielle empirique – des « secrets de métier » transmis par apprentissage –, qui transite et évolue à travers les générations.
L'éventail disciplinaire des sciences et des techniques requises dans l'aménagement des jardins engage, par ailleurs, une forte diversité des compétences professionnelles. Cette dernière se traduit par la collaboration d'artisans et d'ouvriers appartenant à une série de corps de métier, plus ou moins institutionnalisés à tel ou tel moment : arpenteurs, terrassiers, fontainiers, etc., ce qui donne au jardin en tant qu'ouvrage une forte dimension collective. Néanmoins, à la double exigence d'une conception d'ensemble unitaire et d'une direction centralisée des travaux, qui sous-tend la notion même de maîtrise d'œuvre, répond également l'émergence de figures individuelles aux aptitudes « universelles », incarnées à travers les profils de l'architecte à partir de la Renaissance, plus récemment du paysagiste, mais[...]
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Écrit par
- Hervé BRUNON : chargé de recherche au C.N.R.S., centre André-Chastel, Paris
- Monique MOSSER : ingénieur au C.N.R.S., enseignante à l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles
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