JARDINS Sciences et techniques
La terre et l'eau
Créer un jardin, c'est d'abord se confronter à un site en vue de sa métamorphose. Des considérations médicales peuvent orienter le choix de l'emplacement : l'auteur latin Columelle recommande par exemple l'éloignement des marais aux vapeurs nocives. Les différentes caractéristiques physiques du lieu – exposition, relief, nature des sols, points d'eau, etc. –, dont l'ensemble constitue ce que l'on nomme l'assiette, sont autant de données positives qu'il s'agit de comprendre pour les maîtriser en les modifiant plus ou moins.
Les enjeux d'une telle transformation, radicale ou subtile, de la topographie commencent à être mieux compris grâce aux apports de l'archéologie des jardins, discipline développée à partir des travaux de Wilhelmina Jashemski dans les années 1960-1980 sur les villas de Pompéi, Herculanum et Oplontis. Cette approche permet non seulement de retrouver l'ancienne configuration d'un jardin par décapage des couches superficielles du sol (traces d'allées, de trous de plantations...), comme ce fut le cas en 1993-1994 lors des fouilles spectaculaires du Privy Garden de Hampton Court, mais aussi de révéler l'organisation interne, souterraine des jardins grâce à une étude stratigraphique fine, par le biais de sondages profonds s'appuyant sur la micromorphologie, selon la méthode expérimentée par Anne Allimant sur une trentaine de sites en France depuis 1993. Ainsi, à Vallery (Yonne), le jardin créé dans les années 1550 fut installé au fond de la vallée de l'Orvanne à la suite du prélèvement des limons jusqu'au substrat argileux, de la construction de structures architecturales aux fondations soit étanches, soit perméables, puis de l'épandage des limons entreposés et d'une couche de bonne terre. La modification du pendage des sous-sols et le jeu des amendements aboutirent à une régulation interne de la nappe aquifère, incorporant le jardin dans la dynamique du bassin versant, qui était elle-même contrôlée par une série d'équipements en amont (moulins, canaux, digues et étangs).
Plus généralement, c'est sur une véritable gestion des ressources hydrogéologiques à l'échelle territoriale que repose la catégorie récemment mise en évidence des « jardins d'eau » français à la Renaissance, dont la trame de bassins et de canaux bordés d'allées correspondait à la fois à un dispositif utilitaire de drainage, sur de vastes terrains plus ou moins marécageux, et à un dispositif esthétique, ordonné par une grille orthogonale et favorisant le plaisir de se promener en barque ou au bord de l'eau. Malgré un vocabulaire formel bien différent, les jardins pittoresques du xviiie siècle présentent souvent une restructuration aussi profonde des équilibres hydrogéologiques du site, comme à Stourhead (Wiltshire), où le cours de la rivière fut entièrement remanié par l'aménagement d'une succession de lacs artificiels. L'archéologie invite ainsi à repenser le jardin comme une entité structurelle et fonctionnelle – analogue à ce que les spécialistes des interactions entre sociétés et milieux appellent aujourd'hui un anthroposystème –, dont l'évolution selon des durées à court ou long terme doit être prise en compte dans la gestion actuelle des réalisations anciennes.
Des compétences hydrauliciennes, qui vont de la localisation et du captage des sources à l'exécution des tuyauteries et des bassins, sont nécessaires pour la mise en place des réseaux d'adduction, de stockage et de distribution sans lesquels la magie des eaux décoratives, ruisselantes ou jaillissantes, ne peut se produire avec le raffinement que lui donne par exemple la civilisation arabo-musulmane. La réalisation d'un jardin en terrasses, comme la villa d'Este à Tivoli (à partir de 1560), requiert[...]
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Écrit par
- Hervé BRUNON : chargé de recherche au C.N.R.S., centre André-Chastel, Paris
- Monique MOSSER : ingénieur au C.N.R.S., enseignante à l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles
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