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JARDINS Vue d'ensemble

« Le jardin est l'une de ces formes qui transitent à travers l'histoire car il est, littéralement, une inscription, aussi précise qu'un dessin magique, que trace le travail du sol à la surface du globe terrestre, héritant de toute la tradition des corps à corps avec la terre rebelle pour l'amadouer, la féconder, l'asservir peut-être. Chaque jardin implanté et cultivé décrit les limites d'un territoire défini, d'un domaine réservé et clos dans lequel, et par lequel, l'esprit a réussi à comprendre et à dominer les lois de l'univers ». Cette définition de la paysagiste Isabelle Auricoste rappelle la portée anthropologique universelle du jardin, qui sublime les savoir-faire d'origine agricole pour modeler la matière même du monde.

L'engouement pour les jardins ne relève pas d'une mode passagère. Il a succédé, en France comme dans d'autres pays, à un long temps d'éclipse entre l'après-guerre et les années 1970. Ce renouveau d'intérêt résulte aussi bien du rejet d'un urbanisme déshumanisé, de l'affirmation de la conscience écologique ou encore de l'avènement de la civilisation des loisirs. À cette demande sociale croissante de « vert patrimoine » (Françoise Dubost), les responsables publics ont commencé à répondre en ébauchant des politiques en faveur de l'environnement, de la qualité du cadre de vie et, depuis les années 1980, du paysage. La volonté de sauvegarder des espaces menacés a par ailleurs permis de saisir la nécessité de mieux connaître et faire reconnaître les jardins. Ce processus s'est symboliquement cristallisé dans l'élaboration de la Charte de Florence, rédigée en 1981 par un groupe d'experts de l'Icomos (Conseil international des monuments et des sites), qui définit les principes d'intervention spécifiques à de tels « monuments vivants ».

Ce mouvement s'est accompagné d'un foisonnement d'initiatives en matière de recherche, notamment issues de certaines institutions telles que la Dumbarton Oaks Research Library and Collection à Washington, à l'origine d'une série de rencontres depuis 1971, ou l'Archivio Italiano dell'Arte dei Giardini, fondé en 1972 à San Quirico d'Orcia en Toscane. La prolifération des colloques comme la multiplication des revues scientifiques ont encouragé l'émergence d'un champ d'étude nouveau. Un corpus s'est donc peu à peu constitué, dont on ne soupçonnait pas l'étendue et la richesse. Dans les années 1980 par exemple, les lieux à partir desquels s'élaborait l'historiographie des jardins ne se comptaient en France que par dizaines dans chaque département. Lancée en 1982, l'opération de pré-inventaire des jardins « d'intérêt historique, botanique et paysager » a permis de repérer, à la date de 2002, plus de dix mille parcs et jardins sur l'ensemble du territoire, dont la moitié sont considérés comme particulièrement remarquables. En Grande-Bretagne, les études ont révélé une densité similaire à l'échelle des comtés.

L'accumulation de cette masse d'informations a eu pour corollaire une perception de plus en plus aiguë du caractère protéiforme des jardins en tant qu'objets d'analyse. À une approche traditionnellement dépendante d'une histoire de l'art à dominante stylistique est venue se substituer un faisceau d'approches pluridisciplinaires, tentant de rendre compte du jardin dans toute son épaisseur culturelle et sociétale, sans perdre de vue la réalité concrète du terrain, d'appréhender en somme la complexité non pas simplement horticole, mais « hortésienne », pour forger un adjectif qualifiant le jardin dans sa dimension artistique. La Fontaine invite à ce néologisme, lui qui inventa à propos de Vaux-le-Vicomte une muse moderne du jardinage, la fée Hortésie, en lui accordant[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche au C.N.R.S., centre André-Chastel, Paris

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