HAŠEK JAROSLAV (1883-1923)
Le petit monde du brave soldat Švejk
Historiquement, l'univers de Švejk est le monde cruel et burlesque d'une des autocraties du xixe siècle finissant. Contemporain du monde de Kafka, il en est le revers : comme si les « messieurs » tombaient en poussière au contact du rire de Joseph K. Ce sain optimisme, Hašek le doit à ses principes, à l'entrain aussi du petit peuple des faubourgs pragois, au folklore tchèque que domine la figure de Honza, le niais rusé, et encore à l'influence de Gorki et d'un prédécesseur fameux, le poète satirique Karel Havlíček Borovský (1821-1856). Enfin Hašek a derrière lui trois siècles de résistance sournoise au despotisme. Il se sent fort.
Entre 1900 et la guerre, dans ses nouvelles, ce sont donc des personnages de cirque qu'il collectionne. Les clowns d'abord : ils sont là, les bureaucrates et les généraux, les curés et les mouchards, les bourgeois et les politiciens, tous les gratte-papier, les manches lustrées et les cervelles d'oison sur qui s'appuie le système branlant de la monarchie austro-hongroise ! En face, le peuple ; dans le peuple, Švejk (qui apparaît dans cinq nouvelles en 1911). Ici, de grinçante, la plume de Hašek se fait amusée. Le peuple a sa médiocrité, mais, en contrepoint aux fantoches inquisiteurs, il représente la vie.
Les clowns viennent faire leur numéro et repartent. C'est la guerre qui va créer le spectacle géant et permanent avec Švejk au centre (première version du roman : Le Brave Soldat Švejk en captivité [Dobrý voják Švejk v zajetí], Kiev, 1917). En effet la guerre est la fin logique du système. À une machine bureaucratique qui tournait à vide elle apporte une matière, la chair à canon ; elle lui apporte aussi la mort, car pour la première fois le cabotage par l'intérieur devient efficace. Deux images : Švejk partant au service dans la petite voiture d'infirme et agitant ses béquilles au cri de « À Belgrade ! » ; aux psychiatres qui lui demandent « combien fait douze mille huit cent quatre-vingt-dix-sept multiplié par treize mille huit cent soixante-trois », Švejk répondant : « Sept cent vingt-neuf ». Švejk ou comment désorganiser le monde de la folie organisée... À l'entreprise de destruction de Hašek, la guerre a apporté le nécessaire cadre épique. Une œuvre jusque-là émiettée acquiert sa vraie dimension.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jeanne BEM : assistante à l'université de Paris-IV
Classification
Autres références
-
LES AVENTURES DU BRAVE SOLDAT CHVÉÏK DANS LA GRANDE GUERRE, Jaroslav Hašek - Fiche de lecture
- Écrit par Milan BURDA
- 898 mots
Les Aventures du brave soldat Chvéïk dans la Grande Guerre de Jaroslav Hašek (1883-1923) est un chef-d'œuvre mondialement connu, notamment grâce à sa traduction allemande qui a rapidement suivi la parution en langue tchèque de l'œuvre. Cette satire féroce et impitoyable de l'absurdité...
-
TCHÈQUE RÉPUBLIQUE
- Écrit par Jaroslav BLAHA , Marie-Elizabeth DUCREUX , Encyclopædia Universalis , Marie-Claude MAUREL et Vladimir PESKA
- 18 252 mots
- 3 médias
...(1888-1965 ; également l'un des premiers auteurs dramatiques de l'entre-deux-guerres) mettent dans leurs témoignages plus de réalisme et de psychologie. Jaroslav Hašek (1883-1923), transfuge de la « légion » à l'Armée rouge, écrit l'extraordinaire chef-d'œuvre des aventures du ...