IWASZKIEWICZ JAROSLAW (1894-1980)

Un poète affronte l'événement

Iwaszkiewicz débuta comme poète, et il l'est demeuré. Ses premiers recueils expriment les mouvements d'une âme avide de sensations, éprise de la nature et de la beauté, attentive à ses propres réactions devant l'univers. Ils sont marqués par une tendance à la stylisation et un caractère parnassien proches de la poésie russe ; l'influence de Rimbaud y est sensible, cependant que le culte de la tradition et de l'Antiquité souligne des préférences classiques. Celles-ci s'accentuent dans les recueils de la maturité : Le Livre du jour et le livre de la nuit (Ksiŗega dni i ksiega nocy, 1921), Retour en Europe (Powrót do Europy, 1931), L'Été 1932 (Lato 1932, 1933), L'Autre Vie (Inne życie, 1938), Les Pléiades (Plejady, 1942), avec un sens accru de la rigueur, le maintien de structures prosodiques et de formes traditionnelles (ode, élégie, sonnet), la formulation poétique d'un contenu intellectuel. Une vision du monde se dessine dans l'opposition entre le ravissement devant la splendeur de l'univers et le sentiment de son inexorable précarité, entre la recherche de la plénitude de l'expérience et l'amertume des déceptions, entre la passion de la vie et la hantise de la mort.

Cette vision du monde ira se précisant et s'approfondissant dans l'œuvre du prosateur commencée dès les années vingt. Dans les romans et nouvelles de jeunesse : La Fuite à Bagdad (Ucieczka do Bagdadu, 1920), Hilaire, fils de comptable (Hilary, syn buchaltera, 1923), La lune se lève (Ksiŗeżyc wschodzi, 1925), écrits sous l'influence des courants modernistes, l'écrivain s'intéresse particulièrement aux problèmes de la création artistique : il en analyse la genèse et les diverses manifestations qui opposent l'idéalisme esthétique au réalisme pratique, l'artiste au philistin. Par la suite, dans Les Demoiselles de Wilko (Panny z Wilka, 1932), Les Boucliers rouges (Czerwone tarcze, 1934), Le Moulin sur l'Utrata (Młlyn nad Utrata̧, 1936), l'univers romanesque et l'analyse psychologique s'élargissent à des conflits plus dramatiques touchant la condition humaine : entre les natures contemplatives, accueillant passivement ce que l'existence leur apporte, et celles que tourmentent sans répit l'inquiétude et la fièvre d'action ; entre les êtres simples et primitifs, guidés par le sûr instinct de la vie, et ceux chez qui le développement des activités de l'esprit a énervé et perverti les forces élémentaires. Tel est le drame du prince médiéval Henri de Sandomir que sa culture rend incapable de prendre les décisions nécessaires à la réalisation de l'État fort qu'il conçoit (Les Boucliers rouges) ; tel est, à l'opposé, celui du funambule dont le bonheur comme l'équilibre spontané sont détruits par la brusque révélation de la culture et de la beauté (Siegfried, 1931). Ailleurs, l'écrivain s'interroge sur la valeur d'un choix qui, pour être dicté par une conviction profonde, n'en fait pas moins de l'héroïne, par le jeu des circonstances et du hasard, une victime dérisoire (La Bataille dans la plaine de Sedgemoor – Bitwa na równinie Sedgemoor, 1942).