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HEIFETZ JASCHA (1899-1987)

La splendeur du marbre

Les amateurs ont d'abord été frappés par une virtuosité phénoménale pour l'époque. Le goût de l'exploit technique dévore tout autant l'enfant prodige que l'artiste d'âge mûr. Heifetz n'est-il pas le premier à tenter la gageure, assez vaine il est vrai, d'enregistrer lui-même, en rerecording, les parties solistes du Concerto pour deux violons BWV 1043 de Jean-Sébastien Bach ? Plus révélatrice encore est son extraordinaire maîtrise de l'instrument, la domination totale de l'intelligence et de la volonté sur l'instinct et le cœur. Beecham s'émerveillait de le voir suivre au concert le moindre détail des phrasés choisis aux répétitions et se placer devant le micro à l'endroit précis retenu auparavant. Le jeu de Jascha Heifetz ignore cependant les désordres du génie, la folie irrationnelle de l'inspiration, les élans incontrôlés de la passion. Les dieux lui auront refusé le léger frémissement involontaire, la vibration intime, la confidence chaleureuse ou l'héroïque déclamation qui nous enchantent sous l'archet de Jacques Thibaud, Georges Enesco, Ginette Neveu, Adolf Busch, Isaac Stern ou Nathan Milstein. Son royaume est ailleurs, dans un monde où règne sans partage une beauté idéale, née d'un respect religieux de la partition et d'une pureté sonore absolue. C'est une splendeur minérale, alliant l'éclat et les couleurs des pierres précieuses – heifetz signifie « bijou » en hébreu – à la pénétrante froideur du marbre. On en vient à regretter parfois ces petites imperfections techniques, ces glissandos souvent abusifs, ces menues privautés prises avec la musique qui, n'empêchant pas l'esprit de triompher, humanisaient les interprétations. Voilà qui explique sans doute que la musique de chambre n'ait pas été son terrain d'élection. Jascha Heifetz n'est véritablement lui-même qu'au sommet des vagues orchestrales. Mais comment se défendre devant la fascination qu'exerce ce violon-épure, ce son rayonnant d'une énigmatique lumière, ce jeu poussant la pudeur jusqu'aux frontières de l'abstraction ? Atteindre l'immortalité par la désincarnation, tel était le chemin de Jascha Heifetz, l'infaillible.

— Pierre BRETON

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Fritz Reiner - crédits : Keystone/ Getty Images

Fritz Reiner

Jascha Heifetz - crédits : Spencer Shier/ Hulton Archive/ Getty Images

Jascha Heifetz