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NEHRU JAWĀHARLĀL (1889-1964)

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L'homme d'État

Invasion du Cachemire - crédits : Keystone Features/ Getty Images

Invasion du Cachemire

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La première tâche à laquelle Nehru s'attaqua fut le maintien de l'unité territoriale et de la stabilité politique. L'intégration des États princiers dans l'Union indienne représentait un premier pas dans ce sens. La plupart optèrent soit pour l'Inde, soit pour le Pākistān, sauf les États de Junagadh, Hyderābād et du Kashmīr, qui posaient des problèmes particuliers. Les deux premiers de ces États avaient à leur tête des chefs musulmans, alors que leurs populations étaient à majorité hindoue ; au Kashmīr, la situation était inverse. Finalement, Hyderābād et Junagadh furent amenés par l'armée à se soumettre à l'autorité indienne et, lors d'un plébiscite, une majorité écrasante de la population opta pour l'Inde. Au Kashmīr, les choses étaient plus compliquées, car des tribus, armées et équipées par le Pākistān, franchissaient la frontière entre le Pākistān et l'Afghānistān et envahissaient la vallée. Devant cette menace, les autorités hindoues firent entrer le Kashmīr dans l'Union indienne. Nehru, à cette époque, assura que cette mesure était provisoire et qu'on procéderait à un plébiscite dès que l'ordre serait rétabli. Le gouvernement indien porta le conflit devant les Nations unies et un cessez-le-feu entra en vigueur en 1949. Par la suite, Nehru considéra l'intégration comme un fait accompli et ne parla plus de sa promesse de plébiscite.

L'adoption d'une constitution par l'Assemblée constituante représenta un pas important dans le sens de la stabilité politique. Nehru joua un rôle très important dans l'élaboration de cette constitution : elle est républicaine et prévoit une forme de gouvernement essentiellement parlementaire, sur le mode britannique, bien qu'elle assure de larges pouvoirs au président. L'Inde est divisée en plusieurs États gouvernés par les pouvoirs locaux, mais contrôlés par le pouvoir central. La Constitution entra en vigueur le 26 janvier 1950 et l'Inde fut proclamée République démocratique souveraine. Pour neutraliser l'opposition de la gauche, Nehru décida que l'Inde resterait dans le Commonwealth britannique, bien que cela allât contre la position prise par le Congrès avant 1947. Sur la base de la nouvelle Constitution, on décida pour la première fois en Inde de procéder à des élections générales au suffrage universel (1952). Lors de cette consultation, de même que dans les deux suivantes, le parti du Congrès obtint, sous l'égide de Nehru, une majorité écrasante de sièges au Lok Sabha (Chambre des représentants) de même que dans les assemblées d'États, bien que le pourcentage des votes ne dépassât guère quarante pour cent. Malgré sa profession de foi démocratique, Nehru était irréductible à l'égard de l'opposition communiste ; en fait, son gouvernement écarta le gouvernement communiste de l'État de Kerala, qui avait été élu légalement en 1959, profitant de ce que les forces anticommunistes avaient organisé une agitation contre la loi agraire et la loi sur l'enseignement, qui émanaient du gouvernement central.

Dès avant l'indépendance, sous la présidence de Nehru, le Congrès, soutenu par la partie la plus importante de la bourgeoisie indienne, avait compris que le développement économique de l'Inde était impossible sans l'intervention active de l'État dans l'économie. De là, l'accent mis par Nehru, après l'indépendance, sur « l'économie mixte » – coexistence des secteurs privé et public – dans le cadre de plans quinquennaux. Nehru assista à la réalisation de deux plans quinquennaux (1951-1956 et 1956-1961) et au début du troisième. Bien que positifs, les résultats n'en étaient pas moins modestes. Les réformes agraires essentielles, promises de longue date, restaient en grande partie à réaliser. L'index de production agricole (1949-1950 = 100) monta de 96 en 1950-1951 à 145 en 1961-1962 et celui de la production industrielle (1956 = 100) de 73 en 1951 à 153 en 1962. Le revenu national par tête, sur la base des prix de 1948-1949, augmenta d'environ 18 p. 100 entre 1948-1950 et 1962-1963. Mais, dans le même temps, l'Inde devenait économiquement de plus en plus dépendante d'autres pays. Ainsi, entre 1948 et 1959, sa dette étrangère totale tripla. Au cours du premier plan, l'aide étrangère représentait moins de 5 p. 100 de l'investissement national, tandis qu'au cours du second elle monta à 25 p. 100.

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Tout le temps qu'il fut à la tête du gouvernement, Nehru était également ministre des Affaires étrangères ; c'est lui qui détermina le cours de la politique étrangère indienne, conditionnée essentiellement par les besoins de la bourgeoisie du pays. Dans un premier temps, la politique étrangère de l'Inde, tout en proclamant le non-alignement, fut en fait pro-occidentale. Après 1954, elle s'orienta vers le neutralisme qui se marqua notamment par des relations moins tendues avec la Chine. En juin 1954, au cours de la visite que Zhou Enlai fit à Delhi, les communiqués des deux Premiers ministres firent état des célèbres cinq principes de coexistence pacifique, repris l'année suivante à la Conférence de Bandoung. Vers la fin des années cinquante, un mouvement de repli à l'égard du neutralisme se dessina en même temps que les relations avec la Chine se détérioraient, et que les difficultés croissantes du développement économique de l'Inde entraînaient un besoin d'aide étrangère. Finalement, la politique indienne de « non-alignement » se muait en politique de « double-alignement » sur les États-Unis et l'U.R.S.S. contre la Chine. L'hostilité envers la Chine du gouvernement indien, implicitement soutenu par les deux super-puissances, se manifesta d'abord lors de la prise en main du Tibet par les autorités chinoises et, ensuite, dans la position qu'il prit sur la question de la frontière sino-indienne. C'est un fait que la partie occidentale de la frontière – la région d'Aksai Chin – n'avait jamais été précisée, alors que la partie orientale avait été nettement délimitée par les Anglais sous le nom de ligne Mac-Mahon, mais le gouvernement chinois ne voulut pas la reconnaître. Dans ces circonstances, alors que le gouvernement chinois était prêt à négocier un accord général sur ce problème, le gouvernement indien posa comme condition préalable que la Chine accepte que l'Aksai Chin soit partie intégrante du territoire indien et reconnaisse la ligne Mac Mahan comme frontière définitive. Finalement, le différend aboutit à une guerre de frontière de courte durée en 1962 – dont la responsabilité revenait, non pas à la Chine, mais à l'Inde qui voulait repousser de force les Chinois du territoire contesté. Malgré sa victoire sur le terrain, la Chine demanda le cessez-le-feu et, à nouveau, se déclara prête à négocier. Une fois de plus, l'Inde refusa. Enfin, l'antagonisme indo-pakistanais bat tous les records de durée ; la méfiance réciproque, l'appartenance du Pākistān à des pactes militaires garantis par les puissances occidentales et, par-dessus tout, la question du Kashmīr ont largement contribué à cette hostilité.

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Écrit par

  • : professeur d'économie politique à l'Indian Institut of Management, Calcutta

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Médias

Jawaharlal Nehru, 1950 - crédits : Bert Hardy/ Picture Post/ Getty Images

Jawaharlal Nehru, 1950

Indépendance de l'Inde et du Pakistan, 1947 - crédits : The Image Bank

Indépendance de l'Inde et du Pakistan, 1947

Invasion du Cachemire - crédits : Keystone Features/ Getty Images

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