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JE EST UN AUTRE (J. Fosse) Fiche de lecture

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Je est un autre. Septologie III-V (traduit du néo-norvégien, ou nynorsk, par Jean-Baptiste Coursaud, Christian Bourgois, 2024) est le deuxième volume d’une trilogie écrite par l’auteur norvégien Jon Fosse – Prix Nobel de littérature (2023) – publiée en Norvège entre 2019 et 2021.

Si le public français connaît de longue date l’œuvre du dramaturge – dont se sont emparés plusieurs maîtres de la scène, de Claude Régy à Patrice Chéreau –, l’attribution du prix de l’Académie suédoise a révélé en revanche la profonde méconnaissance, dans l’Hexagone, de ses romans et de sa poésie : la seconde y est tout bonnement inédite à ce jour, tandis que les premiers ont longtemps été cantonnés au catalogue d’un petit éditeur, Circé, qui a publié une demi-douzaine de romans entre 2002 et 2016, dont le bref et inoubliable Matin et soir (2003).

C’est pourtant à lire Je est un autre. Septologie III-V, comme tous ses textes romanesques et poétiques, que l’on peut comprendre la fascination que les créations de Fosse exercent au théâtre, avec des histoires de rien qui laissent beaucoup de place au silence, mais un silence sensiblement habité, ce qu’illustre la formule de l’écrivain, qui explique chercher, au théâtre, à « créer des moments où un ange est en train de passer sur scène ».

De l’absence à la présence : un monologue

D’une profonde unité dans sa quête et ses motifs, l’œuvre romanesque de Fosse, loin d’être achevée (l’écrivain est né en 1959), offre au lecteur une expérience au moins similaire à celle du spectateur de théâtre, et c’est la manière de raconter qui fait sa réelle singularité et son indéniable nouveauté. Celle-ci atteint une forme d’apogée avec la Septologie. Répartie sur trois volumes, laSeptologie se découpe en sept jours successifs, du lundi au dimanche, qui se trouve être, cette année-là, la veille de Noël. Chaque partie restitue, sous la forme d’un continuum qu’aucun point de vient jamais suspendre, le monologue intérieur d’un peintre solitaire, Asle. Celui-ci vit dans une maison isolée comme lui-même, au bord du « Sygnefjord », depuis la mort de son épouse, Ales, à l’issue d’une histoire sans nuages. Sa vie sociale est aussi réduite que sa vie spirituelle est débordante, ponctuée de prières. Converti à la foi catholique lors de son mariage avec Ales, des décennies plus tôt, Asle ne cesse en effet d’interroger la foi qui l’habite, sans dogmatisme ni prosélytisme, dans un vertige mystique qui en appelle régulièrement aux écrits de Maître Eckhart.

Croire lui aurait permis autrefois d’arrêter de boire, au contraire de « l’autre Asle », une figure de double urbain ou de double maudit qui a noyé dans l’alcool une succession d’histoires d’amour désespérées. Ce double est lui aussi peintre, reconnu sans être célèbre, mais il n’a jamais quitté la ville. Tous deux sont habités par la même nécessité de se libérer sur la toile des images qui les hantent, dans un rapport à la peinture formulé dès l’incipit : « … quand je peins c’est toujours un peu comme si j’essayais de dé-peindre des images […] qui se sont fixées en moi, pour en quelque sorte me défaire d’elles […], comme si j’essayais de les dé-peindre pour me déprendre d’elle ». Voilà, évidemment, qui ne peut que faire écho à l’écriture de Jon Fosse lui-même dont on pourrait affirmer qu’il s’emploie à « dés-écrire » les représentations communes pour mieux bâtir un monument verbal autour du vide : la seule chose qui compte n’est pas ce que montre l’architecture élaborée, mais sa capacité à laisser vibrer en son sein ce qui ne peut pas se dire et qu’il s’agit pourtant de rendre sensible, donc perceptible, au cœur de la représentation partagée.

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