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JE M'EN VAIS, Jean Echenoz Fiche de lecture

Le désenchantement du monde

Une apparente égalité de ton rend d'autant plus surprenant l'accouplement improbable de mots dont la simplicité même devient ambiguë : vous êtes-vous déjà, comme Félix Ferrer, mis en quête d'une « bouilloire abstraite » en vous réveillant « sous un soleil naïf de juin, voilé vers le nord-ouest » ? L'ironie douce-amère semble une des seules formes d'expression qui demeurent pour parler d'un monde sur lequel il n'est plus possible de porter un regard tant naïf qu'émerveillé. Au cœur même du réel, Jean Echenoz préserve des parcelles de rêve. Au détour d'une description en apparence scientifique, il fait ainsi surgir l'image très poétique de ces paroles gelées qui, dans le Grand Nord, sonnent « trop brièvement avant de se solidifier ». Il suffit « de tendre ensuite une main pour qu'y retombent, en vrac, des mots qui vienn[ent] doucement fondre entre vos doigts avant de s'éteindre en chuchotant ».

De page en page, mais également de livre en livre, les clins d'œil et les jeux de miroir se multiplient, établissant avec le lecteur une forme de connivence : entre Un an, roman publié par Jean Echenoz en 1997, et Je m'en vais, les passerelles sont multiples. Les détails en apparence insignifiants, la répétition insidieuse des lieux – comme Mimizan Plage ou l'hôtel Albizzia dont le prix de la chambre augmente considérablement entre le séjour de Victoire en 1997 (320 F) et celui de Baumgartner en 1999 (480 F) – se révèlent au contraire pleins de sens lorsque se résout l'intrigue. Victoire, personnage principal de Un an, est le lien imprévu mais essentiel entre les protagonistes de Je m'en vais.

Jean Echenoz éprouve un immense plaisir d'écriture à ces subtiles variations, à ces descriptions répétées mais jamais identiques des mêmes endroits. Dans Un an, le jardin de l'hôtel Albizzia est « parcouru de fauvettes, planté de pittosporums en liberté conditionnelle et d'une frise de platanes domestiqués ». Dans Je m'en vais, il devient un « petit parc peuplé d'étourneaux sansonnets, boisé d'eucalyptus en otage et de mimosas d'importation ». Subtil décalage là encore, expression d'une sensibilité fine et aiguë, qui s'efforce de passer sans vraiment s'arrêter, comme Félix Ferrer s'obstine à aller de rencontre en rencontre avec une nostalgie doucement désespérée : « Je m'en vais » déclare-t-il au début et à la fin du livre, comme si le départ était, avec l'ironie, les seules défenses possibles face à un univers dont personne ne sait où il va.

— Aliette ARMEL

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  • ECHENOZ JEAN (1947- )

    • Écrit par
    • 1 179 mots

    Jean Echenoz est né le 26 décembre 1947 à Orange. C'est en 1979 qu'il fait son entrée dans le paysage littéraire avec Le Méridien de Greenwich. Publiée aux éditions de Minuit au moment où la littérature française est traversée par de nombreux débats sur la fin des avant-gardes et...