JE ME TUERAIS POUR VOUS (F. S. Fitzgerald) Fiche de lecture
Un recueil de dix-huit textes de Francis Scott Fitzgerald (1896-1940), Je me tuerais pour vous (trad. M. Amfreville, Grasset-Fayard, 2017), vient compléter l’œuvre du brillant écrivain du Jazz Age, mêlant la gravité de l’homme mûr, l’ironie des lendemains de La Fêlure et l’influence des scripts d’Hollywood. Venues des archives du fonds Fitzgerald où elles étaient en attente, ces nouvelles écrites au cours des années 1930 n’ont pas été publiées dans les grands magazines – le SaturdayEveningPost, Collier’s ou Esquire –, habituels demandeurs de ses éternelles histoires de jeunesse. Or, dit-il, « je crois beaucoup plus sage de ne pas m’obstiner et de creuser un autre puits, une veine nouvelle ». Il est loin le temps de l’égoïsme romantique des années 1920 et des débuts de la carrière littéraire de Fitzgerald. Désormais, l’ombre de la grande dépression et la détresse privée assombrissent son inspiration, mais la dimension intemporelle des grands thèmes chers à l’écrivain demeure : la séduction et les amours, le cynisme des riches, l’effervescence d’une société.
Après la chute
Le mélange séduit par la variété des longueurs, des personnages et des époques, une manière d’aborder l’évolution de l’histoire américaine à laquelle Fitzgerald reste très attaché. Ainsi, deux nouvelles contiguës reviennent sur la guerre de Sécession, avec un prisonnier dans « Pouces levés », le front et l’intendance chez les confédérés du Maryland dans « Rendez-vous chez le dentiste », tandis qu’une autre s’inspire de la légende du lac de Lure, situé près d’Asheville en Caroline, où Fitzgerald séjourne fréquemment pour rendre visite à Zelda en cures prolongées. Les réflexions sont maintenant lestées par l’expérience, d’où la chute de la brève nouvelle « Congé d’amour » : « La jalousie ne fait pas partie de mon équipement. On m’a sans doute donné une bonne dose de vanité à la place. » En regard des années 1920, période majeure de la production de Fitzgerald, cette phase tardive de sa création propose des histoires décalées aux titres révélateurs qui ouvrent un « cyclone », un « cauchemar », une « fantaisie en noir », ou abordent « les peines de l’amour ». Les garçonnes ont durci. Prêtes aux marchandages, elles sont devenues des « chasseresses suffisamment désespérées pour appâter un piège avec des fragments et des miettes d’elles-mêmes ». Les couples envisagent la séparation, les domestiques effrontés font des faux pas et les opulentes demeures du New Hampshire abritent des conflits. S’y ajoutent des situations inédites telles des rencontres de vagabonds et clandestins le long des ballasts dans « Voyager ensemble », la veine de la parapsychologie à la mode, ou encore l’absurde et le burlesque grinçant. Fitzgerald innove et l’originalité du dénouement de « Merci pour le feu » confirme son brillant talent de conteur.
Cependant, sa familiarité avec le monde de l’édition dans « Reconnaissance de dette », les ambiances des derbys de sa période d’étudiant à Princeton et les infidélités d’une belle dans la nouvelle « Hors jeu » renouent avec la veine des recueils précédents, Un diamant gros comme le Ritz et LesEnfantsdujazz, de même que ses médecins et patientes entretiennent une parenté certaine avec le roman Tendreestlanuit. Quant à Gwen, la jeune héroïne new-yorkaise de « La perle et la fourrure », elle rappellera Daisy, l’amante rêvée de Gatsby, avec la cape de chinchilla dans le taxi : « Comme tous les enfants de sa génération, la vie était pour elle une sorte d’accident à accepter, un fourre-tout où vous preniez ce que vous pourriez prendre mais où rien n’était garanti. »
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Écrit par
- Liliane KERJAN : professeure des Universités
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