JE ME TUERAIS POUR VOUS (F. S. Fitzgerald) Fiche de lecture
Dans l’usine à rêves
Le renouveau vient de l’atmosphère d’Hollywood, où Fitzgerald, salarié à la Metro-Goldwyn-Mayer depuis 1937, est préposé comme script doctor à l’amélioration de scénarios en cours. Parallèlement, il se met à imaginer ses propres esquisses de scénario, tournant autour de jeunes héroïnes telle, dans « Chaussons de danse », cette ballerine russe de la troupe impériale de ballet qui arrive à Ellis Island, ou encore, dans « Les peines de l’amour », cette jolie héritière qui, rentrée incognito d’Europe, est bientôt suivie par un agent secret étranger à la recherche d’un obus caché dans une malle, prétexte à rebondissements, poursuite et double jeu. La plongée dans le monde du cinéma lui fait adopter un autre rythme, un découpage alerte, l’usage de défilés visuels, de ralentis, d’intersections de plans : Fitzgerald modernise ses effets mais, dans cette lutte entre l’image et l’écrit, il entend résister à « un art mécanique et collectif » en imprimant sa marque dans la subtilité des scènes courtes et des croquis. À cet égard, la nouvelle « Je me tuerais pour vous » apporte une magnifique illustration, à travers un récit de tournage où se mêlent le métier et l’intime, où le carnaval donne des « rues jonchées de pétales de rhododendrons rouge magenta et d’azalées blanches vaporeuses », où le désir se noue dans « un silence ruisselant de pluie ».
Plus que jamais, à la fin des années 1930, Fitzgerald souhaite ressembler à sa définition de l’homme complet, « dans la tradition de Goethe-Byron-Shaw », travaillant à son ultime roman LeDernierNabab tout en écrivant scripts et nouvelles. Avec humour, il esquisse ici son autoportrait à travers le personnage de Delannux, le visiteur en Caroline, qui se définit comme « une espèce de vestige de la conquête de l’Ouest… J’avais ma place à une époque où les gens recherchaient avant tout l’excitation du moment et moi, je tentais de la leur donner. Je dépensais beaucoup d’argent… J’essayais de traverser l’Atlantique en avion ou de mettre à sec toutes les caves à vin de Paris – ce genre de choses. Tout cela sans but et cela paraît si démodé aujourd’hui ». À l’évidence, ce recueil de nouvelles inédites montre une ambition, une versatilité liées à une sensibilité et à une poésie intactes qui confortent l’écrivain dans son statut hors mode.
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Écrit par
- Liliane KERJAN : professeure des Universités
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