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JE RENTRE À LA MAISON (M. de Oliveira)

À l'instar d'une ouverture d'opéra qui condense les thèmes de l'œuvre à venir, la première séquence de Je rentre à la maison transcrit sobrement l'inspiration profonde du film : à partir d'interférences entre le théâtre et la vie, il s'agit de brosser le portrait en mouvement d'un comédien célèbre et vieillissant, Gilbert Valence (remarquablement interprété par Michel Piccoli), face au surgissement de la mort.

Sur la scène d'un théâtre, on joue Le Roi se meurt, l'un des chefs-d'œuvre de Ionesco. Alliant le pathétique au bouffon, le vieux roi incarné par Gilbert affronte en manteau de pourpre et hermine blanche l'imminence de sa disparition, et refuse d'abandonner son trône. Dans l'espace des coulisses, trois hommes silencieux semblent mal à l'aise : ils attendent la fin de la représentation pour révéler à l'acteur que sa femme, sa fille et son gendre viennent de mourir dans un accident. « Où commence le théâtre ? Où finit la vie ? », s'interrogeait Jean Renoir dans Le Carrosse d'or. De l'espace de la scène à celui des coulisses, la mort se détache de l'imaginaire pour s'introduire brutalement dans la vie quotidienne. Un plan-séquence silencieux transcrit la douleur du comédien qui s'enfuit sans dire un seul mot.

Selon Ionesco, Le Roi se meurt suggère les étapes « d'une agonie ou, si l'on préfère, celles d'une renonciation : peur, désir de survivre, tristesse, nostalgie et puis résignation. Enfin, dépouillé de tout et seulement à ce moment-là, il s'en va ». Le cheminement intérieur du comédien recoupe celui du vieux roi. En lui le travail de deuil s'accomplit dans le silence. Dans l'espace clos et sombre de sa chambre, la contemplation silencieuse de la photo de sa femme témoigne d'abord de sa souffrance. Gilbert reporte toute sa tendresse sur son petit-fils, Serge, avec qui il joue dans le salon. La fidélité au souvenir des êtres qu'il aimait s'exprime dans une volonté de vivre chaque jour comme s'ils demeuraient présents à ses côtés. À son ami l'impresario qui l'interroge sur ses sentiments, l'acteur répond d'un air triste où l'on perçoit le courage allié à la douleur : « Je vis... dans la solitude ». Une solitude rythmée par ses promenades dans Paris et par de menus incidents révélateurs.

Au fil des séquences, en effet, les cadrages reflètent moins le regard du cinéaste sur le monde extérieur ou ses créatures de fiction que la subjectivité du personnage. Ainsi, sans aucune utilité dramatique, un bref plan en plongée nous montre, à deux reprises, le petit garçon, le cartable sur le dos, dans le jardin avant de partir pour l'école : il transcrit l'affection de Gilbert qui contemple son petit-fils par la fenêtre de sa chambre. De même, au café, une conversation entre le comédien et son impresario est d'abord entendue en voix off. Des deux personnages, nous ne voyons que les jambes et les chaussures, en particulier celles de l'acteur qui agite son pied droit. Cadrage insolite qui traduit l'intérêt soudain éprouvé par Gilbert pour les chaussures de luxe dont il sera dépouillé par un drogué au cours de la séquence suivante.

En dépit de la disparition des êtres qu'il chérissait, il faut continuer à vivre. Et la vie passe ici par le métier de comédien dont Gilbert se fait la plus haute image. S'il est à l'aise en interprétant un autre souverain déchu, le Prospero de La Tempête, de Shakespeare (« Nous sommes faits de la même étoffe que les rêves »), il refuse de jouer pour de l'argent dans un téléfilm dont le scénario lui semble dépourvu d'intérêt.

En revanche, Gilbert accepte le rôle d'un personnage secondaire, Buck Mulligan, dans une adaptation cinématographique de l'[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

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