Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

JE SUIS FASSBINDER (mise en scène S. Nordey et F. Richter)

À peine nommé, en septembre 2014, à la tête du Théâtre national de Strasbourg (TNS), Stanislas Nordey annonçait sa volonté d’y défendre un théâtre vivant, contemporain, capable de témoigner au présent des mouvements de l’histoire et de l’état du monde. Un théâtre politique, donc, qui se conjugue non pas sur le mode militant des vérités toutes faites et de l’agit-prop, mais qui provoque, pose des questions qui dérangent, sans jamais donner de réponse.

Un spectacle-manifeste

<em>Je suis Fassbinder</em>, S. Nordey et F. Richter - crédits : Elizabeth Carecchio

Je suis Fassbinder, S. Nordey et F. Richter

C’est ce théâtre qu’il a décidé d’illustrer dès sa première création avec un spectacle aux allures de manifeste, aussi vivifiant que détonant : Je suis Fassbinder, de l’Allemand Falk Richter, son auteur complice depuis près de dix ans. Créé en mars 2016, le spectacle a par la suite été repris au Théâtre de la Colline, à Paris. Son titre (qui fait aussi ouvertement référence au « Je suis Charlie », surgi au lendemain de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique, en janvier 2015), pourrait prêter à confusion : trente-quatre ans après sa mort (à l’âge de trente-sept ans),  ne s’agirait-il là que d’un hommage à Rainer Werner Fassbinder qui, s’il marqua fortement les esprits, suscita également une forte hostilité ?

Il est vrai que le public français est peut-être moins sensible à la dimension subversive et fortement politique d’un créateur qui, à l’image d’un Pasolini (auteur de prédilection de Nordey), montra une créativité bouillonnante : tout à la fois auteur, acteur, metteur en scène d’une vingtaine de pièces, d’une quarantaine de films et de téléfilms réalisés en seize ans d’un parcours météorique placé sous le signe de la transgression et de la description de la cruauté qui lie les rapports interhumains. Sur scène, cependant, Stanislas Nordey ne se contente pas d’interpréter un double de Fassbinder, et joue au contraire habilement de la distance – par moments ne se fait-il appeler, non « Rainer », mais « Stan » comme Stanislas, tout comme Laurent Sauvage, qui joue la mère de Fassbinder, est nommé, tour à tour, « maman » et « Laurent » ? Sans doute, la vie et l’œuvre mêlées de Fassbinder constituent bien le matériau de départ de la pièce. Les spectateurs peuvent le voir tel qu’en lui-même, en images, démultiplié en vidéos et en photos. Ses portraits jonchent le sol. Des fragments de ses pièces, comme Gouttesdans l’océan, sont repris, des extraits de ses films sont cités, projetés (L’Année des treize lunes, Le Marchand des quatre saisons, Prenez garde à la sainte putain,Les Larmes amères de Petra von Kant).

Il n’empêche. L’ambition est autre : il s’agit de retrouver, avec la même acuité, le regard sans complaisanceque cet « épouvantail à bourgeois »  porta sur la décennie 1970-1980 et ses arrière-plans, pour l’appliquer à notre société. Une société, qui, pour Richter et Nordey, se révèle, en Allemagne comme en France et dans toute l’Europe, plus que jamais en perte de vitesse et de repères. Le terrorisme de la bande à Baader ou d’Action directe a fait place à celui de Daech et des djihadistes. Le rejet de l’« autre » est partout, le fascisme ordinaire que décrivait Fassbinder plus insidieux que jamais. Ce climat délétère ne se limite pas à l’espace public. Il pénètre l’intime, corrompt les relations amoureuses, chacun craignant de voir s’instaurer un échange inégal où l’un tendrait à vouloir dominer l’autre, l’absorber, l’anéantir. La méfiance et l’individualisme règnent en maîtres. Et, par là même, la solitude. Hier et maintenant entrent en résonance.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

Classification

Média

<em>Je suis Fassbinder</em>, S. Nordey et F. Richter - crédits : Elizabeth Carecchio

Je suis Fassbinder, S. Nordey et F. Richter