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JE SUIS FASSBINDER (mise en scène S. Nordey et F. Richter)

Dialogue avec la mère

Dès les premières minutes, le ton est donné, avec une séquence adaptée de L’Allemagne en automne. Dans cette suite de courts-métrages réalisés en 1978 par onze réalisateurs (dont Alexander Kluge et Volker Schlöndorff), Fassbinder a choisi au lendemain du « suicide » dans la prison de Gudrun Ensslin, Andreas Baader et Jan-Carl Raspe de filmer une longue discussion l’opposant à sa mère, et concernant la démocratie et le terrorisme. « Le mieux, finit-elle par dire, ce serait une sorte de dirigeant autoritaire qui serait tout à fait bon et gentil, qui serait quelqu’un de bien. » Richter reprend à son compte cette confrontation, mais en la déplaçant vers une réalité autre : les agressions sexuelles commises contre des femmes à Cologne, le 31 décembre 2015, et les polémiques haineuses qui leur ont succédé dans les médias.

Le discours est violent, la charge féroce. Cependant, tout au long de cette suite de quatre chapitres et vingt séquences, le spectacle ne se départit jamais d’une extraordinaire vitalité, même dans ses instants les plus noirs. Cela tient, évidemment, à la virtuosité de la mise en scène de Stanislas Nordey. Cosignée par Falk Richter, elle semble en apparence chaotique et digne des riches heures de l’underground contestataire, rappelant la facture du cinéma post-soixante-huitard. Il en va de même pour le décor, aux praticables dessinant et redessinant les espaces, avec tables, chaises, divan en Skaï, voire télévision alternant archives vidéo et images d’actualité. Cela tient aussi, et peut-être surtout, à la pratique d’une écriture dite « de plateau ». Rédigé en allemand par Richter, traduit en français par sa collaboratrice Anne Monfort, le texte, qui n’a été finalisé qu’à la veille de la première, s’est élaboré au jour le jour, au rythme de quatre semaines d’improvisations et de répétitions avec les comédiens, chacun apportant sa part.

Soudés comme le sont les doigts d’une main, ces comédiens sont cinq. Tous formidablement maîtres de leur jeu, jouant, dansant, chantant. Tous fabuleux d’invention, de liberté et d’énergie : Stanislas Nordey (Fassbinder en blouson de cuir) et Laurent Sauvage (inoubliable « mère »), bien sûr, mais aussi Eloise Mignon, Thomas Gonzalez et Judith Henry, douloureuse et combattante, allégorie d’une Europe qui se désole. « Je suis l’Europe/ Je n’ai pas d’identité/ Je suis l’Europe et/ personne ne sait ce que ça signifie/ Je suis l’Europe/ et je ne tiens pas debout, je me brise/ je m’effondre… » Un cri d’alarme pour un théâtre d’urgence.

— Didier MÉREUZE

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

Classification

Média

<em>Je suis Fassbinder</em>, S. Nordey et F. Richter - crédits : Elizabeth Carecchio

Je suis Fassbinder, S. Nordey et F. Richter