ANOUILH JEAN (1910-1987)
Pièces noires, pièces roses, pièces brillantes, pièces grinçantes : Anouilh a lui-même défini ainsi les différentes facettes de son œuvre théâtrale. Ce classement marque aussi une évolution. Anouilh a commencé par des comédies cocasses à la fois cruelles et tendres ou par la modernisation des grands mythes de la tragédie grecque, à la manière de Giraudoux. Puis il se laissa peu à peu envahir par ses rancunes politiques, jusqu'à produire des œuvres de critique sociale amères, désabusées et animées d'une verve de chansonnier. Dès lors, le grand thème de la pureté, qui était la source des premières œuvres, n'inspira plus guère que des plaisanteries assez complaisantes qui valent à l'auteur la fidélité d'un public partisan, heureux de voir exprimer sur scène ses réticences devant les transformations du monde.
Une vie toute de théâtre
Jean Anouilh est né à Bordeaux en 1910, d'un père tailleur et d'une mère violoniste. Tout en poursuivant ses études, il se passionne pour le théâtre. Adolescent, il écrit ses premières pièces sous l'influence d'Henri Bataille, auteur alors à la mode. Mais c'est à dix-huit ans qu'il reçoit le choc théâtral qui déterminera toute sa création. Il assiste, à la Comédie des Champs-Élysées, à une représentation du Siegfried de Jean Giraudoux et découvre, lui qui a, selon ses propres mots, « mille fois relu » Marivaux et Musset, qu'on peut écrire au théâtre « une langue poétique et artificielle qui demeure plus vraie que la conversation sténographiée ».
« Ce fut ma révélation », ajoute-t-il. Si bien qu'après avoir poursuivi des études de droit et travaillé dans une maison de publicité, il décide de se consacrer au théâtre. Il devient même, durant très peu de temps, secrétaire de l'acteurLouis Jouvet, avec lequel il ne s'entendra pas.
En 1932, L'Hermine, sa première pièce, est créée à Paris et remporte un certain succès. Anouilh épouse une actrice, Monelle Valentin, qui incarnera bon nombre de ses futures héroïnes, et renonce à toute autre activité hors du théâtre. Après deux échecs, Mandarine (1933) et Y avait un prisonnier (1935), il parvient au succès dès 1937 avec Le Voyageur sans bagage, monté par Georges Pitoëff au théâtre des Mathurins. La pièce remporte un véritable triomphe. L'année suivante, Anouilh établit définitivement sa réputation avec Le Bal des voleurs, créé par André Barsacq, et La Sauvage, dans une mise en scène de Georges Pitoëff, avec Ludmilla dans le rôle de Thérèse, la jeune fille « pauvre comme un petit rat » qui refuse par pureté l'amour d'un riche compositeur. Le public est bouleversé et, à la fin du deuxième acte, celui où Thérèse atteint le fond de sa révolte, le régisseur de la troupe note chaque soir quelques évanouissements de spectateurs ou spectatrices trop sensibles.
Si l'on reprend les classifications de l'auteur, autant La Sauvage est « noire » autant Le Bal des voleurs est « rose ». Cette comédie-ballet, dont la musique de scène est de Darius Milhaud, met en présence trois voleurs à la tire et deux banquiers véreux, tandis qu'une riche Anglaise excentrique, Lady Hurf, mène le jeu. Les rôles s'échangent pour le plaisir du spectateur. Anouilh, qui reconnaît aussi une dette envers Pirandello, bâtit son théâtre à vue d'œil. La fantaisie est de rigueur et les blessures intimes des personnages sont masquées par les rires.
Après ces deux triomphes de l'année 1938, la biographie d'Anouilh se confond avec la chronologie de ses créations théâtrales. Du reste, l'auteur n'en souhaite pas d'autre. Il l'a écrit au metteur en scène Hubert Gignoux : « Je n'ai pas de biographie et j'en suis très content. » Ses principales étapes sont donc : Léocadia (1939), avec[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre ÉNARD : écrivain
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