INGRES JEAN AUGUSTE DOMINIQUE (1780-1867)
« Le style, c'est la nature »
Les dix cahiers manuscrits d'Ingres (musée de Montauban et collection particulière) contiennent des notes prises avec soin dans les musées, des transcriptions de textes d'Homère, des tragiques grecs, les vies de Raphaël et de Henri IV, en somme une documentation variée qui aidait le peintre dans le choix de ses compositions et le traitement du thème retenu. Le sujet arrêté, Ingres entreprenait une multitude de dessins, ébauches, esquisses – le musée de Montauban en conserve plusieurs centaines – avant d'aborder l'exécution proprement dite, achevée d'ailleurs très rapidement. Ensuite, il reprenait certaines de ses compositions : ainsi modifie-t-il, vingt ans plus tard, Œdipe et le Sphinx, par l'adjonction sur la droite d'un homme épouvanté, et prévoit-il, pour une version tardive de l'Apothéose d'Homère, la suppression de certaines figures, entre autres celle de Shakespeare. Pour cet artiste peu doué d'imagination, « patient et douteur » disait Champfleury, le même souci de réalisme, qui le poussait à rester fidèle au modèle dans ses portraits, le conduit à s'inspirer des œuvres des maîtres anciens quand il aborda la peinture d'histoire. Daniel Ternois, étudiant la méthode d'Ingres, a justement analysé comment des compositions telles que l'Apothéose d'Homère, Le Vœu de Louis XIII ou Le Bain turc étaient la synthèse de figures empruntées çà et là. Seulement, ajoute Ternois, c'est justement par ce travail obstiné, cette recherche des beaux exemples de l'Antiquité et de la Renaissance qu'Ingres devait parvenir au grand style de la composition d'histoire.
En effet, à partir de l'œuvre admirée, Ingres, par le jeu même de la réflexion et de la technique, crée un art toujours personnel. De là le qualificatif de novateur que lui donnèrent les tenants de la doctrine académique de David ou les critiques perspicaces, tel Théophile Gautier. À l'époque, son art surprend, que l'on définit par la ligne – « la ligne de Raphaël revue, corrigée et augmentée », disaient les satiristes –, l'absence de couleur – « Il n'y a de gris que le gris et M. Ingres est son prophète » –, et que l'on condamne pour certaines hardiesses de composition ; enfin on lui reproche – et pourquoi ne le reproche-t-on pas à ses contemporains, J. D. Odevaere et A. L. Girodet ? – de mépriser la vérité anatomique (Jupiter et Thétis, La Grande Odalisque) ou la vérité de la perspective (Le Martyre de saint Symphorien). En fait, ce qui préoccupe Ingres, c'est d'atteindre au style. Il écrivait à Raoul Rochette : « Le style, c'est la nature », expliquant ainsi le sens profond de son esthétique. Son œuvre est élaborée, mais réaliste. R. Rosemblum a noté la fascination qu'exerçaient sur Ingres les phénomènes d'optique, jeu de miroirs ou reflets sur les surfaces polies. Et, par le souci qu'il eut de restituer la « couleur locale », il donnait à la peinture d'histoire une perfection inégalée, sans comparaison avec les reconstitutions pseudo-historiques de l'époque : sa Vénus blessée par Diomède (Bâle, collection Hirsch) rappelle la composition d'une métope, et Romulus vainqueur d'Acron celle d'une frise antique, tandis que Paolo et Francesca (musée d'Angers) évoque la miniature, et Le Vœu de Louis XIII, l'art de Philippe de Champaigne. Dans ses portraits, en fait la peinture historique de la société du temps, il impose « à chaque type qui passe sous son œil un perfectionnement plus ou moins complet » (Baudelaire) : l'environnement (le ciel d'orage du Portrait de Granet, peintre romantique), le costume (la somptueuse robe à fleurs aux couleurs vives de Madame Moitessier), l'attitude (le geste rêveur de [...]
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Écrit par
- Jean LACAMBRE : chargé de mission auprès du directeur des Musées de France
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