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BAECHLER JEAN (1937-2022)

Une œuvre monumentale

N’ayant sacrifié à aucune mode intellectuelle – ni aux penchants contemporains à la simple glose érudite plutôt qu’à l’analyse directe des problèmes humains –, Jean Baechler a étonnamment été très peu discuté académiquement, alors même qu’il a abordé dans son œuvre quantité de questions centrales des sciences humaines et sociales, dans la lignée classique allant d’Aristote à Max Weber.

Cette œuvre débute par une analyse du trotskysme (Politique de Trotsky, 1968), puis se penche sur les révolutions (Phénomènes révolutionnaires, 1970) et le capitalisme (Les Origines du capitalisme, 1971 ; Le Capitalisme, 2 vol., 1995). Après son doctorat, Jean Baechler s’est tourné vers l’analyse des ressorts fondamentaux de l’idéologie (Qu’est-ce que l’idéologie ?, 1976) et vers les principaux modes d’exercice du pouvoir politique (Le Pouvoir pur, 1978). Avec les trois modes du pouvoir que seraient la « puissance », l’« autorité » et la « direction », il formule une théorie générale des régimes politiques, des « relations de pouvoir » et d’obéissance, puis engage une vaste enquête de sociologie historique sur la « démocratie » selon le type de « morphologie sociale » à laquelle elle s’adosse – les bandes, les tribus, les cités, les nations (Démocraties, 1985 ; Précis de la démocratie, 1994 ; Précis de philosophie politique, 2014). La question de la guerre au sein des relations internationales (« transpolitiques ») est inséparable de sa théorie générale du politique (Guerre, histoire et société, 2019). Son Esquisse d’une histoire universelle (2002) et Les Morphologies sociales (2005) condensent les aspects empiriques de sa sociologie générale.

Ces amples travaux de Baechler centrés sur la valence causale première de l’« ordre politique » le conduisent à élaborer une anthropologie générale, dont sa philosophie politique et sa sociologie historique ne constituent qu’une déclinaison empirique sectorielle. Au cours des années 2000, il systématise sa réflexion non essentialiste sur la « nature humaine » et ses actualisations empiriques au sein de treize « ordres » d’activité spécifiques correspondant chacun à la résolution d’un « problème » de survie ou de destination existentielle ne pouvant pas ne pas se poser à tout groupement humain (ordres démographique, hygiénique, économique, technique, politique, pédagogique, ludique, morphologique, sodalique, agorique, normatif, eschatique, staséologique). Nature et histoire (2000) constitue à cet égard la percée fondamentale, que Jean Baechler ne cesse d’expliciter ensuite, en forme de « somme anthropologique », dans Agir, faire, connaître (2008), La Nature humaine (2009) et Les Matrices culturelles (2009).

Cette théorie générale de l’homme inclut une éthique de la « bonne vie bonne » (Les Fins dernières, 2006), mais aussi une typologisation des rationalités métaphysiques quant à la question des « fins de destination » de l’existence humaine, à savoir son sens ultime métaphysiquement argumenté, selon deux voies radicalement différentes du point de vue logique et quant à leurs conditions historiques d’émergence : la voie séculière du devenir (Chine, Grèce) et les voies religieuses des monothéismes proche-orientaux (judaïsme, christianisme, islam), ainsi que de l’atmanisme védique et hindouiste (Inde). Les deux ouvrages intitulés Qu’est-ce que l’humain ? Liberté, finalité, rationalité (2014) et Modèles d’humanité (2019) résument sa position d’ensemble sur les « virtualités » fondamentales de l’humain à partir du schème premier de la « liberté » en tant que non-programmation génétique de l’espèce engageant sa condition historique « finalisée », « rationnelle », mais éminemment « faillible ». Cette anthropologie ne saurait toutefois faire oublier l’extrême[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, Paris

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