LULLY JEAN-BAPTISTE (1632-1687)
Un génie novateur
Lully a opéré une sorte de synthèse entre les différents genres pratiqués en France – ballet de cour, tragédie, tragédie en musique (ce genre mixte où une musique de scène complète le spectacle), pastorale (le genre à la mode au milieu du siècle), comédie même –, avec un apport non négligeable venu des opéras italiens donnés en France grâce à Mazarin : l'Orfeo de Luigi Rossi, représenté en 1647, le Xerse et l'Ercole amante de Pier Francesco Cavalli, représentés en 1662 avec d'ailleurs des intermèdes dansés de Lully lui-même.
Du ballet de cour, la tragédie en musique a hérité le divertissement dansé et chanté qui figure obligatoirement à chaque acte (fête pastorale, royale ou nautique, ballet infernal, pompe funèbre, grand ballet final...). L'ingéniosité du librettiste doit le relier à l'action, mais il constitue un ensemble cohérent et clos sur lui-même. On y trouve toutes sortes de danses (danse pure ou danse d'action), des airs à forme fixe (issus de l'air de cour ou de la danse chantée) et des chœurs.
De sa rivalité avec la tragédie déclamée, la tragédie en musique a hérité un style récitatif qui cherche à transcrire musicalement la récitation tragique, et c'est en regard de cet idéal qu'il acquiert une grande importance. Mais, tandis que le récitatif italien tend à se séparer progressivement de toute forme chantée réellement mélodique (ce qui aboutira, à la fin du xviie siècle, à la division recitativo/aria), le récitatif de Lully reste à mi-chemin entre une déclamation chantée et l'air. En outre, loin d'être, comme le recitativo secco des Italiens, une part sinon négligeable, du moins secondaire, de l'opéra tout entier orienté vers l'épanouissement de l'aria, le récitatif lulliste est la partie la plus importante de l'œuvre, et elle en est la plus soignée. Plus mélodique que le recitativo italien, il se distingue malaisément de l'air : en France, à partir de Lully, on appellera air un moment de récitatif plus chantant, qui correspond généralement à un moment particulièrement intense de l'action dramatique (adieux de Cadmus à Hermione, fureur d'Armide...).
Tous les stades intermédiaires entre la stricte déclamation chantée, adaptée à la prosodie française, et l'air proprement dit se succèdent sans solution de continuité dans l'opéra lulliste : les passages de l'un à l'autre sont souvent insensibles. Une maturation progressive est toutefois sensible, depuis Cadmus et Hermione, où la langue musicale est encore un peu sèche, jusqu'à Amadis, Roland et Armide, où se développe le récitatif accompagné par l'orchestre (fureur d'Armide).
Si la tragédie en musique s'est voulue une véritable tragédie (Charles Perrault, dans sa Critique de l'opéra, pense pouvoir mettre sur le même pied l'Alceste de Lully et celle d'Euripide, voire Andromaque ou Bérénice), elle s'en distingue par son goût du spectacle et du merveilleux, héritage encore du grand ballet, et aussi de la tragédie en machines. L'importance de la décoration, des costumes, la multiplication des effets de machineries (vols de dieux, monstres, apparitions, transformations et métamorphoses...) témoignent de ce goût, qui existe dans l'opéra italien, mais que la tragédie en musique a porté en France à un degré inégalé de somptuosité.
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Écrit par
- Philippe BEAUSSANT : directeur de l'Institut de musique et danse anciennes de l'Île-de-France, conseiller artistique du Centre de musique baroque de Versailles
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