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JEAN BAUDRILLARD (Cahier de l'Herne)

Jean Baudrillard - crédits : Thomas Koch/ Shutterstock.com

Jean Baudrillard

Le Cahier de l'Herne, dirigé par François l'Yvonnet, qui a été consacré en 2005 à Jean Baudrillard, brosse le portrait paradoxal d'une œuvre et d'un homme qui revendiquent, sur fond de désenchantement, une irréductible singularité. Sa pensée – « géniale et dingue », selon les mots d'Edgar Morin – n'aura cessé de travailler (sur) les limites de la modernité. Les changements d'époque ne vont jamais sans mal, ni sans mystifications diverses (interprétations rétrospectives, anticipations frauduleuses). Être attentif aux « événements » exige une écoute créative aux « bruits du temps ». En fidèle disciple de Nietzsche, le philosophe-sociologue doit se faire « médecin de la civilisation » et savoir ausculter les symptômes, anéantir les fausses interprétations, anticiper les possibles ouvertures même si « nous n'aspirons plus à rien [et que] c'est nous qui sommes aspirés par le vide ».

Né en 1929, Jean Baudrillard, tel un sismographe, a enregistré, pendant plus de quatre décennies, les moindres soubresauts d'une planète mal en point. S'il y avait un penseur polygraphe duquel il serait possible de le rapprocher, ce serait certainement Lichtenberg (1742-1799) qu'en bon germaniste et humoriste mélancolique il aime à citer. Goût du paradoxe poussé aux extrêmes, esprit enjoué, curiosité insatiable, sens de la formule, désir effréné de lucidité, profondeur de moraliste désabusé les caractérisent tous deux. « Ceux qui vont droit devant eux ne sauront jamais d'où ils viennent », dit un aphorisme de Cool Memories V (2005).

Jean Baudrillard n'est pas de ceux qui vont « tout droit ». Les « lignes d'erre » ont sa préférence, tant il faut avoir le sens de « la réversibilité, du défi, de la séduction » afin de pouvoir mettre à nu les structures fascinées de nos sociétés sans altérité. Nul mieux que lui ne sait pointer du doigt les ruptures radicales et les disparitions imperceptibles par le moyen des instruments traditionnels de la critique. La « fin de l'histoire », dont Francis Fukuyama s'était fait l'idéologue, ne permet pas de rendre compte de ce qu'il en est advenu du monde dans et par la « mondialisation ». Fin du monde dont « l'événement » du 11 septembre 2001 aura été comme le pressentiment et la réalisation. Jean Baudrillard écrit très justement à son propos qu'il constitue notre scène primitive, notre « théâtre de la cruauté », seul producteur de symbolique. Événement qui n'aura eu lieu que dans sa banalisation médiatique, dans la conflagration de l'image et du réel. « L'information se double de l'illusion de l'actualité, de la présence – c'est l'illusion du monde en direct, en même temps que l'horizon de disparition de l'événement réel », écrit-il dans « Le Virtuel et l'événementiel », daté de 2003. Ce qui s'ensuit : une réalité phagocytée par l'information supposée la refléter, la fin des « médiations », une radicalisation « au profit du seul affrontement entre les extrêmes », et la mondialisation libérale bientôt inversée en société de contrôle.

Ce qui apparaît à la lecture de ce Cahier et des nombreux livres reprenant des articles ou des entretiens publiés ces dernières années (Power inferno, 2002 ; Le Pacte de lucidité ou l'intelligence du Mal, 2004 ; À propos d'Utopie, 2005 ; Oublier Artaud, 2005), c'est la remarquable continuité d'une œuvre, et sa faculté de se renouveler sans se trahir. « Pataphysicien » à vingt ans, « situationniste » à trente, « utopiste » à quarante, « transversal » à cinquante, « viral » et « métaleptique » à soixante (pour reprendre le « curriculum vitae » qu'il donne dans Cool Memories II), Jean Baudrillard,[...]

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Jean Baudrillard - crédits : Thomas Koch/ Shutterstock.com

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