BEAUFRET JEAN (1907-1982)
Le nom du philosophe Jean Beaufret demeure lié à celui de Martin Heidegger. La rencontre entre les deux hommes décida d'un dialogue lui-même décisif pour la pensée de notre temps. Jean Beaufret naquit à Auzances dans la Creuse. Après l'école communale et le lycée de Montluçon, il vint à Paris pour préparer le concours de l'École normale supérieure, où il entre en 1928. Il commence son métier de professeur en 1933. L'insatisfaction grandissante qu'il y éprouve le conduit à douter de l'enseignement qu'il a reçu et de la tradition philosophique française. Si la guerre est pour lui, dès 1942, le combat au sein de la Résistance, elle est aussi le moment où il franchit d'abord le pas de Descartes à Husserl, puis de celui-ci à Heidegger, dont la lecture inaugure son destin de penseur. À la fin de la guerre, alors qu'il cherche à se situer par rapport à l'existentialisme tout autant qu'au marxisme, c'est de la pensée phénoménologique de Heidegger que lui vint la lueur. La rencontre personnelle de Beaufret et de Heidegger a lieu en 1946. Acte de naissance d'une « amitié stellaire », elle fut, pour le premier, comme il le dira bien des années après (1978), « la révélation de l'autorité pédagogique » et, pour le second, l'occasion de l'hommage de la Lettre sur l'humanisme, qui marquait tout à la fois la fin d'un silence de dix ans et l'ouverture du dialogue nécessaire à la pensée. Fertilisée par ce dialogue, la pensée de Jean Beaufret se tient désormais là où se font écho la parole et l'écrit. Durant trente ans, à l'École normale supérieure et dans deux khâgnes (dont surtout celle du lycée Condorcet), se manifeste avec force la grâce souriante de sa propre autorité pédagogique. Ses écrits tracent, dans l'attachement d'une amitié toujours plus fidèle à Heidegger, le chemin d'une pensée originale, à la sérénité toujours plus endurante.
Jean Beaufret perçoit d'emblée l'ébranlement de tout le sol philosophique qui se produit avec Sein und Zeit, où la pensée du sens de l'être dans l'horizon du temps se conjugue à l'analytique du « Dasein » et de sa finitude. Mais, en 1946, le « sens de l'être » s'est métamorphosé en « vérité de l'être », qui déjà se métamorphose à son tour en « contrée de l'être ». Du fond de son propre ébranlement, Beaufret puise les ressources pour faire sien le mouvement de la pensée de Heidegger et pour l'accompagner dans le pas qui rétrocède de la métaphysique vers la pensée de l'être. Dès lors, tandis qu'il est aux prises avec le caractère « époqual » de la philosophie, la Grèce lui apparaît comme étant le radieux coup d'envoi du destin même de l'être et donc de l'Occident. La question devient celle du passage de la vérité entendue, chez Parménide par exemple, au sens de l'alètheia à sa déclinaison métaphysique qui débute avec Platon. Lorsque Jean Beaufret traduit finalement alètheia par « ouvert-sans-retrait », « traduire » veut dire ici « penser ». Il n'y a pour lui de pensée qu'en intimité avec la langue. Ses traductions ont pour site le français en tant qu'il fait face à l'allemand de Heidegger. « Dans Dialogue, dira-t-il, c'est à la langue française que je demande de parler. » Le dialogue de Beaufret et de Heidegger se déroula en France dans un « climat d'interdiction » (« L'ignorance totale en ce qui concerne Heidegger tient au fond même du savoir universitaire », dira Beaufret), puis vint l'indifférence, enfin la curiosité. Parmi ses ouvrages, citons : Le Poème de Parménide, 1955 ; Introduction aux philosophies de l'existence, 1971 ; Dialogue avec Heidegger, 4 vol., 1973-1983.
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Écrit par
- Jean LAUXEROIS : professeur de lettres classiques, traducteur de Heidegger
- Claude ROËLS : professeur de philosophie, traducteur de Heidegger
Classification
Autres références
-
EXISTENCE (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 075 mots
...avant le xxe siècle – ou peut-être avant le xixe siècle, si l’on considère Søren Kierkegaard (1813-1855) comme le premier existentialiste. Jean Beaufret (1907-1982) montre comment le mot latin essentia, qui vient du verbe esse (être), et qui aurait dû désigner logiquement l’existence de...