BECKER JEAN (1933- )
Jean Becker est, dans les années 1950, l'assistant de Julien Duvivier, Henri Verneuil ainsi que de son père Jacques Becker. Il dirige même des plans de l'œuvre ultime de ce dernier, Le Trou (1960) dont il supervise le montage, le film n'étant sorti qu'après la mort de son auteur. Comme réalisateur, Jean Becker signe d'abord trois films policiers interprétés par Jean-Paul Belmondo au mieux de son talent : Un nommé La Rocca (1961) fait le récit d'une amitié brisée ; Échappement libre (1964) recompose, autour d'une histoire de contrebande, le couple formé avec Jean Seberg dans À bout de souffle (J.-L. Godard, 1960) ; Tendre Voyou (1966) marque déjà le changement d'image de l'acteur qui incarne ici un gigolo escroquant les riches pour vivre avec faste. Quant à Pas de caviar pour tante Olga (1965), c'est un essai de comique proche de l'absurde. Visiblement Jean Becker cherche un style et un ton qui le démarquent de l'ombre paternelle.
Il arrête alors pendant près de vingt ans la fiction pour se consacrer au cinéma publicitaire. Pour son retour au long-métrage en 1983, il adapte un roman de Sébastien Japrisot, L'Été meurtrier, et offre à Isabelle Adjani son plus grand succès public : poussée par un désir de vengeance, celle-ci met la petite ville ensoleillée à feu et à sang, mais c'est le pauvre Pin Pon (Alain Souchon) qui sera la principale victime, car Éliane s'est complètement trompée en recherchant les meurtriers de sa mère. La tragédie tourne au mélodrame flamboyant. Encore une douzaine d'années consacrées à la télévision et Jean Becker revient en 1995 au cinéma avec une manière de variation sur le scénario précédent : Elisa (Vanessa Paradis), fille scandaleusement émancipée, va venger elle aussi celle que son père avait forcée à se prostituer.
Depuis lors, souvent associé à Japrisot pour le scénario, Jean Becker arrondit davantage les angles de sa dramaturgie et tire volontiers ses récits vers la fable, comme à la recherche d'un art de vivre et de valeurs que l'on croyait disparues, à contre-courant de la vitesse, de l'érotisme et de la violence d'un certain cinéma américain. Rural, nostalgique, hors du temps, proche de la nature, Les Enfants du marais (1999) fut trouvé poétique, et d'une sagesse rafraîchissante par un large public, tandis que la critique le jugeait plutôt suranné, populiste, rétrograde et d'une facture obsolète. Les films suivants seront reçus à peu près de la même façon, qu'il s'agisse d'un remake de La Poison de Sacha Guitry (Un crime au paradis, 2001, avec Jacques Villeret et Josiane Balasko, mais sans le cynisme méchant de l'original), d'un hommage aux héros anonymes des heures les plus noires de l'Occupation (Effroyables Jardins, 2003) ou de Dialogue avec mon jardinier (2007, d'après le roman d'Henri Cueno, rencontre édifiante entre l'humanisme de l'homme des champs et les préoccupations de celui des villes).
Le cinéma de Jean Becker joue sur l'émotion et met en scène de façon très classique des petites gens avec leurs passions, faiblesses et fêlures, mais aussi leur grandeur, et surtout leur fidélité à une conception de la vie basée sur la simplicité, la profondeur et la convivialité. Deux Jours à tuer (2008) surprend donc en montrant la colère qui saisit un quadragénaire bien rangé rejetant violemment les mensonges de l'existence. Du même coup, la construction du film rompt elle-même avec la montée dramatique traditionnelle en bouleversant au final le portrait psychologique du personnage. Le metteur en scène a également réalisé La Tête en friche (2010) et Bienvenue parmi nous (2012).
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
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