BODIN JEAN (1529-1596)
« La République »
L'État de fait
Platonicien d'esprit, Bodin se révèle aristotélicien de méthode, dans la mesure où il part de l'observation des faits et du dénombrement complet de toutes les sociétés connues. Cette étude se fait sur le plan des sciences naturelles : elle correspond à l'œuvre de celui que Bodin appelle le géographistorien. L'étude des différents États « en situation » fait ressortir toute l'importance des facteurs physiques qui semblent à première vue déterminants.
La théorie des climats
Jean Bodin parachève à cette occasion la théorie des climats déjà amorcée par Aristote et dont la reprise par Montesquieu ne sera qu'une imitation. Il montre l'importance de la position occupée par la cité, de son ouverture sur la mer ou de sa situation au carrefour de grandes routes naturelles, l'importance de l'altitude, du régime des vents, de la composition du sol, de l'étendue du territoire, de l'idiome national. Tout cela oriente spontanément un État donné vers telle forme politique : un grand État complexe, sis dans une région tempérée comme la France, ne peut guère recevoir qu'une forme monarchique, un petit pays montagnard comme les cantons suisses, qu'une forme républicaine.
La division la plus importante aux yeux de Bodin est celle qui se fait eu égard à la latitude. Des deux côtés de l'équateur, chaque hémisphère se divise en trois bandes fondamentales correspondant aux pays du Nord, du Midi et, entre les deux, de la zone tempérée. Les gens du Nord sont violents, actifs et industrieux, ils réussissent dans la guerre et les techniques, ils doivent se garder de la propension trop marquée à l'ivrognerie. Les hommes du Midi sont lents et sages, très doués en ce qui concerne la réflexion mathématique et, d'une manière générale, la contemplation. Ils sont marqués par un esprit religieux authentique, qui les garantit contre les dangers des mutations historiques. La zone intermédiaire favorise par son climat modéré l'expansion naturelle de l'humanité. Ses habitants sont caractérisés par l'aptitude spontanée aux relations sociales, aux institutions et aux qualités relevant du droit et de la justice. Ils brilleront particulièrement, comme les Grecs, les Romains ou les Français, dans le domaine de la politique.
L'évolution historique
Mais d'autres éléments, au moins aussi puissants, contribuent eux aussi à forger la personnalité des nations. Il y a d'abord chez Bodin quelque chose qui s'apparente un peu à la théorie du challenge chère à Toynbee, à savoir la manière dont un peuple conscient des avantages et surtout des difficultés propres à sa situation relève le défi que la nature lui a porté. Cela lui sera possible en se donnant d'excellentes institutions tenant compte à la fois des données acquises et de la possibilité de les corriger.
Or, un peuple que sa longue histoire a intégré successivement dans plusieurs systèmes de civilisation en a souvent conservé des principes politiques hétérogènes. Là aussi, il faudra marcher dans le sens de l'histoire, comme on marchait tout à l'heure dans le sens de la géographie, concilier ces tendances et les intégrer sous l'autorité d'une forme pure.
En ce qui concerne la France, on peut dire qu'à la fin du xve siècle le principe chrétien, le principe féodal et le principe romain sont également présents dans la respiration même de l'État. L'État reste avant tout la communauté chrétienne politiquement organisée : le prince et ses officiers jurent fidélité à l'Église et la prennent comme garante de leurs équité et loyauté futures ; de là la gravité de la crise ouverte par la prétention d'un prince hérétique (le futur Henri IV) d'accéder à la couronne du Roi Très Chrétien.
Mais, de ses origines[...]
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Écrit par
- Pierre MESNARD : membre de l'Institut
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