BODIN JEAN (1529-1596)
Théoricien de la monarchie absolue ?
Les auteurs modernes, qui ne s'embarrassent pas toujours de nuances, ont souvent considéré que Bodin, partisan déclaré de la souveraineté, devait du même coup être considéré comme le fondateur de la monarchie absolue.
Historiquement, cette thèse a d'abord été soutenue, et le fait est assez curieux, par les propres théoriciens de l' absolutisme. José Antonio Maravall a excellemment montré que toute la philosophie politique espagnole du xviie siècle n'est qu'un long duel entre l'influence de Bodin et celle de Machiavel. Par un jeu singulier de contingences historiques, Machiavel, auteur italien, bénéficie, dans l'Espagne baroque, des privilèges généraux de « la nation la plus favorisée », tandis que Jean Bodin, inspirateur du parti des politiques qui ruina définitivement en France les prétentions des ligueurs inféodés à l'Espagne, est traité en ennemi déclaré : finalement, c'est son œuvre qui est condamnée comme machiavélique, tandis que celle du Florentin est agréée, commentée et, mêlée à celle de l'Italien Botero (Della ragione di Stato, 1589), contribue à la théorie de la « véritable raison d'État » soutenue par Barbosa Homem, qui est un machiavélisme renforcé, ad majorem Dei Hispaniaeque gloriam.
En France, au contraire, Jean Bodin est tiré, dès la première génération de ses disciples avec Grégoire de Toulouse (Syntagma juris universi), dans le sens de l'absolutisme. Ce point de vue sera soutenu sans la moindre nuance dans l'œuvre pesante de l'avocat général Cardin Le Bret, De la souveraineté du roi, parue en 1632. L'absolutisme prétendu de Bodin se définira en pratique d'abord par la dictature du « ministère » avec Richelieu, puis avec la dictature royale de Louis XIV à partir de 1682. Mais, pour l'instant, nous sommes encore très loin du terme de cette évolution historique. La République de Bodin est une sublimation du règne de François Ier, proposée en modèle à Henri IV.
Sans doute la progression vers la concentration du pouvoir est-elle déjà manifeste, puisque l'on a pu intituler une fresque doctrinale de l'Encyclopédie française : « L'État de la Renaissance et son évolution vers l'absolutisme ». Mais, avec Jean Bodin, ce terme est très loin d'être atteint : l'exercice de la souveraineté n'implique en aucun sens la reconnaissance d'un absolutisme authentique. Nous pensons donc que Mousnier, Prélot, et beaucoup d'autres, ont tort d'employer ce terme à propos de Bodin. Prélot reconnaît d'ailleurs implicitement cette erreur lorsqu'il sent la nécessité de subdiviser l'étude qu'il consacre à l'absolutisme et de reconnaître une seconde étape, dans l'Apogée de l'absolutisme (1614-1685), où son analyse est remarquable. Mais, précisément, les auteurs qui précèdent cette période ne peuvent être traités d'absolutistes, parce que, sur les points essentiels, ils s'opposent aux thèses que soutiendront leurs successeurs. C'est ainsi que Bodin ne cesse d'anathématiser, sous le nom de monarchie seigneuriale ou de « monarchie à la turque », la thèse favorite de Le Bret, qui tend à faire de l'État la propriété du monarque. Il développe, au contraire, la théorie de la monarchie royale, c'est-à-dire d'un État où le roi est le représentant du bien commun, mais aussi le défenseur des droits de tous ses sujets et de toutes leurs libertés individuelles et collectives. La souveraineté bodinienne, limitée sur le plan transcendantal par la délégation d'un pouvoir conforme à la justice de Dieu, l'est aussi en pratique : à l'intérieur, par le respect des lois fondamentales de l'État ; à l'extérieur, par celui des traités conclus et par les normes du droit des gens.[...]
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Écrit par
- Pierre MESNARD : membre de l'Institut
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