BRUHAT JEAN (1905-1983)
Né le 24 août 1905 à Pont-Saint-Esprit, l'historien Jean Bruhat est mort à Paris le 11 février 1983. Pendant ses dernières années, il avait montré devant la maladie non seulement un grand courage, mais une grande vitalité : à la veille de sa disparition, il signait le service de presse d'un volume de souvenirs, Il n'est jamais trop tard et, désireux de collaborer à l'édition en vingt volumes des Œuvres de Jaurès, il avait accepté la responsabilité du volume consacré à L'Armée nouvelle et aux problèmes militaires. La retraite avait été pour lui l'occasion d'intensifier ses activités et de réfléchir à sa vie.
Peut-on, à propos de cette vie, parler d'une « carrière » ? Au sens universitaire, et donc professionnel du mot, on peut en douter. Et davantage encore, peut-être, s'agissant du militantisme qui fut sa deuxième vie : la même en réalité. Mais le mot carrière avait-il un sens pour Bruhat ? Il s'était investi dans sa — dans ses — vocation(s) et non dans une quelconque ascension vers un quelconque pouvoir. Un bref rappel des principaux moments de sa vie rend perceptible cette vérité et lui donne son plein sens.
D'une certaine manière, l'entrée de Jean Bruhat à l'Université par la grande porte, celle de la rue d'Ulm, témoigne du processus d'ascension sociale que le système scolaire français a rendu possible pour certains. Roulier, ouvrier meunier : tels étaient ses deux grands-pères. Et son père, comme tant de fils d'Auvergnats sans terre, avait passé le concours de commis des Postes. Excellent élève à Brioude puis à Issoire, au lycée de Saint-Étienne ensuite et enfin, grâce bien évidemment à une bourse, au lycée du Parc à Lyon, Bruhat entre en 1925 à l'École normale supérieure, où il est le condisciple de Raymond Aron, de Paul Nizan et de Jean-Paul Sartre. Il adhère aussitôt au Parti communiste : c'est l'époque de la guerre du Maroc où il puise l'horreur du colonialisme. Il entre en même temps à la Fédération unitaire de l'enseignement : ce double militantisme, politique et syndical, va dominer sa vie. Il vient pour une part de ses racines plébéiennes, pour une part plus grande encore de l'influence exercée sur lui, à la fin de la Grande Guerre, par un de ses beaux-frères, Alfred Delhermet, un instituteur syndicaliste-révolutionnaire, proche du noyau de la Révolution prolétarienne.
Les années 1930 à 1937 sont provinciales. Agrégé d'histoire, Bruhat est nommé au lycée Clemenceau à Nantes, une grande ville ouvrière où, comme à Saint-Nazaire, dominent les options socialistes, à l'exception des métallos et des dockers. « Le Petit Rouge » s'y lie d'amitié avec Julien Gracq et Robert Ballanger. Excellent orateur, il prend part aux luttes locales et participe dans la joie au Front populaire. Sur le plan national, de 1931 à 1935, il dirige L'Université syndicaliste, le journal du comité des professeurs adhérents à la Fédération unitaire de l'enseignement, avant de devenir, en 1936, secrétaire du syndicat, cette fois unifié. C'est alors aussi que commence sa collaboration à L'Humanité et à son feuilleton « Doctrine et histoire ».
Nommé à Paris, au lycée Buffon, en octobre 1937, il devient un des proches collaborateurs et « conseillers » de Maurice Thorez et Jacques Duclos. Son rôle est considérable tant dans l'élaboration du discours prononcé par Thorez au congrès d'Arles en décembre 1937 que dans celle du film de Jean Renoir, La Marseillaise, dans la mise en route du musée de Montreuil, enfin dans l'enseignement de l'histoire à l'école centrale du P.C.F. (1937-1939) : un rôle d'intellectuel militant, une fonction complexe.
Mobilisé dès le premier jour, Bruhat, qui partage, à peu de chose près, le jugement très sévère[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Madeleine REBÉRIOUX : professeur émérite à l'université de Paris-VIII
Classification