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CASSOU JEAN (1897-1986)

À la fois poète et critique d'art, historien et romancier, rêveur plongé dans son monde intérieur et homme d'action, Jean Cassou est né à Bilbao. Orphelin de père, pauvre, il doit très tôt gagner sa vie et celle de sa mère. Ainsi, très jeune, passant d'un métier à un autre, il se forge une image d'un monde incohérent qu'il décrit plus tard dans De l'Étoile au Jardin des Plantes (1935), récit de vagabondage, qui est, selon ses propres termes, son écrit le plus autobiographique.

Historien, il se penche sur la vie de Philippe II et sur la révolution de 1848 : La Vie de Philippe II (1929) et Quarante-Huit (1939). Il dénonce le règne de la violence et de l'absurdité qui se cache sous le terme d'Histoire, avec un grand H. L'histoire se résume à une série d'agressions et de résistances. (Avec La Mémoire courte, il développera en 1953 ses théories pessimistes : il a constaté, à la faveur des événements, que seules les forces gigantesques parviennent à vaincre l'indifférence des masses.) Il publie Légion (1939), un roman dans lequel il développe l'idée que « légion », le démon du multiple, déploie toutes les ruses pour faire triompher au sein de notre société le pluriel sur le singulier, c'est-à-dire sur l'essentiel de nous-même. Le fascisme, la guerre d'Espagne, le nazisme ne font que le confirmer dans son opinion.

Mais Cassou est aussi un humaniste. Sa condamnation est pour la société, non pour l'homme lui-même. Dans les élans bientôt brisés de la classe ouvrière de 1848, dans la Commune ou dans la Résistance, il voit la gloire du génie populaire, qu'il ne faut pas confondre avec l'esprit de la foule symbolisé par Légion. Au-delà de son scepticisme et de sa colère, au-delà des sarcasmes et des injures, il garde une foi inaltérable en la liberté. Son œuvre est pour l'essentiel consacrée à peindre les jaillissements de la liberté dans l'histoire ou dans l'art. Son œuvre poétique est elle-même un jaillissement de liberté : Les Trente-Trois Sonnets composés au secret (1944), comme leur titre l'indique, sont les témoins de cette liberté intérieure que Cassou a su garder intacte jusque dans sa prison.

Poète de l'essentiel, c'est-à-dire de l'immédiat et du spontané, qui prime sur le construit et le réfléchi, du moins au premier abord, Cassou possède le sens baudelairien des correspondances. « Vos yeux de musique », écrit-il de l'être aimé. L'amour se présente dans toute sa complexité, métamorphose le temps, l'espace et la préhension du quotidien. Plus complexe encore avec la dimension du temps ; temps vécu dans son immédiat, mais aussi souvenir et distance. La mémoire sert d'ailleurs à revenir à l'essentiel, donc à l'unique, au singulier. Mémoire, souvenir, mais aussi conscience, c'est-à-dire distanciation, irruption du présent dans le souvenir. La mémoire cherche à abolir le temps ; la conscience rend irrévocable l'obstacle du temps écoulé. C'est donc la tristesse de constater que le temps passé est le temps perdu. La rime, le rythme sont au service d'une langue complexe et soulignent parfois le décalage entre la double présence du réel et de l'imaginaire.

Jean Cassou critique d'art va d'emblée à l'essentiel. Il préfère toujours ce qu'il y a d'arbitraire et de singulier dans une œuvre. Picasso, Miró, Calder ont fait l'objet de pages mémorables. Pour lui, le critique d'art doit prolonger dans sa critique même le dialogue intime qu'il entretient avec les œuvres qu'il choisit, et non exposer avec pédanterie des idées froides agrémentées de considérations sociologiques. Pourtant, en tant que conservateur du musée d'Art moderne de Paris, il a su à la fois organiser des expositions d'un art qui ne le touchait pas, comme celle sur le réalisme soviétique,[...]

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