CLAREBOUDT JEAN (1944-1997)
Le sculpteur et dessinateur, Jean Clareboudt est mort le 10 avril 1997 tué par une voiture dans une rue d’Istanbul, laissant, interrompue, une œuvre singulière, à son image, et riche par son ouverture au monde. Durant l'été de 1996, avait été organisée au couvent des Cordeliers de Châteauroux, une rétrospective de ses travaux, 1974-1996, sous le titre Le poids retient le vide. Dix ans plus tôt, le musée Rodin avait accueilli l'installation d'une de ses Conditions, titre d'une série de travaux bâtis sur des rapports d'intelligence profonde avec un site naturel ou architectural : Condition 2 (1983) jouant avec le bâtiment de la Condition des soies de Lyon, Condition 4 (1985) avec l'architecture de la fondation Miró à Barcelone. D'autres séries ont ainsi marqué de jalons, définitifs ou provisoires, des territoires dispersés dans le monde.
« Nomade », l'œil aigu, le regard doux, d'une extrême mobilité, Clareboudt voyait les sites, les arpentait, les relevait. Il avait corporellement éprouvé la réalité de l'espace, son grain, en travaillant avec Bob Wilson ou avec le danseur japonais Tanaka Min. Formé à l'École des arts appliqués, puis dans l'atelier d'Étienne-Martin aux Beaux-Arts de Paris (1967), ce Lyonnais ne s'enferma pas dans un atelier, guetté par le danger de la redite, du métier. « L'atelier de Jean Clareboudt, écrivait son ami Gérard Macé, est partout à ciel ouvert : à Paris où il a vue sur le métro aérien, près de Nantes, au lieu-dit Pierre percée dont le nom est un arcane, dans la campagne proche et les pays qu'il visite il retrouve en tous lieux son „atelier naturel“, observant ici le partage des eaux, ailleurs les limites incertaines d'une ville morte, là encore les „reliefs“ de la mémoire, et partout le jeu à l'aveuglette du jour et de la nuit » (Suspens, installation, sculptures, dessins, théâtre d'Ivry, 1982).
Clareboudt met au jour des lignes de force. Il tire parti de points discrets (au sens linguistique du terme) d'une étendue de paysage, il marque celle-ci d'un signe, bois ou pierre. De notes prises sur-le-champ il pourra tirer des pièces qui seront le souvenir, transformé, métaphorisé, d'une rencontre inscrite dans la mémoire, de l'esprit et du corps. Ces pièces, souvent, entreront dans des séries. Ce mot, ici, ne désigne pas des variations à peine diversifiées sur un thème, mais l'exploration et la réalisation des « possibles » d'une situation auxquels il donne forme. Ainsi les pièces nommées « Condition » ne se ressemblent qu'en profondeur.
La diversité est une des caractéristiques de l'œuvre de Clareboudt. Elle est la réponse à la diversité des sites. Néanmoins, elle offre des repères constants qui constituent les articulations de son propre paysage. Repère des matières et de leur jeu contrasté : confrontation de la pierre et du verre, du bois et de la toile, de la corde, du fragile et de l'incisif, du lourd et du translucide, du lisse et du grenu, du massif et de sa poussière. Repère des « Dispositifs » (un de ses mots) fondés sur des équilibres indus. Repères des titres des séries qui disent ces « Déplacements », « Soulèvements », « Élévations », « Lignes hautes », « Gués », « Passages ».
Clareboudt a laissé des dizaines de carnets précieux, œuvres en eux-mêmes et réserve de matériaux pour des œuvres futures : fragments d'objets, de végétaux, collés, croquis, schémas, annotations, réflexions ; une vie d'artiste y est saisie au jour le jour et dans ses arêtes vives ; notes de voyages dans les pays liés à son travail – Égypte, Mexique, Danemark, Australie, Japon, Inde... bords de Loire, Pierre percée ; notes de lecture – sa bibliothèque était vaste et orientée vers ce qui était pour lui l'essentiel : la découverte du monde et de[...]
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Écrit par
- Georges RAILLARD : professeur émérite à l'université de Paris-VIII
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