BRISSEAU JEAN-CLAUDE (1944-2019)
Révélé par De bruit et de fureur, qui dès 1988 faisait surgir à l'écran la violence des cités de banlieue, le cinéaste Jean-Claude Brisseau reçut alors l'étiquette de champion du réalisme français. Le succès de Noce blanche (1989), porté, au côté de Bruno Cremer, par la composition naturaliste de Vanessa Paradis dans son tout premier rôle, ne dissipa pas ce malentendu, qui semble désormais vouer Jean-Claude Brisseau à une certaine incompréhension de son projet. En réalité, c’était vers une certaine forme d’invisible qu’il était tourné : « Je crois que nous avons une vision partielle et partiale du monde. Je crois qu’il y a des choses derrière les choses. Et c’est cela que le cinéma doit montrer », expliquait-il au Monde en 2013.
Issu d’un milieu très modeste, Jean-Claude Brisseau est né à Paris le 17 juillet 1944. Instituteur puis professeur de français (dans un collège d'Aubervilliers où il était encore en poste lorsqu'il tourna son premier long-métrage pour le cinéma, Un jeu brutal, en 1983), Jean-Claude Brisseau s'est formé par la pratique du super-8 et du 16 millimètres, se vouant, en une sorte d'artisanat solitaire, à explorer tous les aspects de la création cinématographique – technique, écriture, et naturellement mise en scène –, avec une curiosité de cinéphile qui l'invitait à aller puiser son enseignement dans les grands films du passé. Le cadre est donné : l'œuvre de Brisseau, où s'exprime le désir de prolonger le dialogue avec les maîtres au-delà de l'héritage du cinéma français (ce sera Hitchcock dans L'Ange noir, en 1994), affirme sa prédilection pour les fictions d'apprentissage. C'est une valeur presque radicale qui leur est accordée : faire l'expérience de la vie, de ses énigmes, de ses épreuves, et se former aussi à la mort, c'est-à-dire ici à l'au-delà possible de toute existence terrestre. Dès Un jeu brutal, la violence de ce processus apparaît à travers le duo plutôt audacieux imaginé par Brisseau : un père assassin d'enfants et sa fille handicapée, liés par une sorte de pédagogie de la cruauté. Face à la mort, présente comme une ombre portée (les scènes de meurtres sont quasi abstraites), le cinéaste offre à son héroïne une initiation à l'acceptation de soi et du monde, proche du mysticisme. Si le film joue aussi du suspense, c'est à la manière d’un thriller métaphysique. Noce blanche aborde plus frontalement le dispositif enseignant-enseigné (un professeur de cinquante ans tombe amoureux d'une de ses élèves de dix-sept ans), mais débouche sur la révélation d'une foi tant romantique que mystique en la puissance réunificatrice de l'amour (éloignée du professeur, la jeune fille se laissera mourir). Avec Céline (1992), le substrat religieux des films antérieurs passe au premier plan et se manifeste avec force : lévitation, miracle, sainteté, Brisseau ne recule devant rien, mais il sait donner une atmosphère indécidable à cette histoire qui est à la fois celle d'un apostolat (autre forme d'enseignement) et d'un envoûtement unissant deux femmes. Céline se rattache finalement moins au mysticisme chrétien de tradition française qu'à une réinterprétation du cinéma fantastique, et s'impose comme un film hautement singulier dans la production des années 1990.
C'est à l'aune de cette quête d'un imaginaire différent qu'il faut apprécier De bruit et de fureur. Nourri par deux précédents longs-métrages d'inspiration voisine, La Vie comme ça (1978, une employée de bureau, devenue déléguée syndicale, subit calomnies et persécutions qui la conduiront au suicide) et L'Échangeur (1981), réalisés pour la télévision, De bruit et de fureur témoigne d'une relation étonnamment familière avec la réalité sociale[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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