GRUMBERG JEAN-CLAUDE (1939- )
Les mots sous les mots
Cette verve souvent acide de Grumberg tient pour une grande part à la langue qu’il écrit. C’est certes le français que sa mère parlait avec la gouaille d’Arletty, mais un français empreint du yiddish des Juifs parisiens dont beaucoup avaient fui les manifestations antisémites qui faisaient le sinistre quotidien de l’Europe orientale, avant et après la Première Guerre mondiale. Cette langue presque disparue est comme l’accent de Zone libre. Et si aucun mot de yiddish ne se fait entendre sur scène, c’est que l’artifice choisi « est le seul moyen d’échapper au genre folklorique et confidentiel. » Cette langue, à la fois brutale et pudique, que des millions de Juifs parlaient, écrivaient, dans laquelle ils lisaient, est pour beaucoup dans la vitesse et le laconisme des répliques, dans le goût du jeu de mots et de la formule. Sa présence en filigrane est nécessaire pour raconter ce qu’il en est dans Zone libre : « [cette pièce] restera cet objet hybride, coincé entre le rire et les larmes, la dérision et les souvenirs vécus, chuchotés, confiés par je ne sais trop qui à l’enfant que je fus. » C’est aussi et surtout un idiome grinçant qui condense le tragique par l’humour. On rit de ce qui fait mal ; on tourne en dérision ce qui peut blesser.
Pour reprendre le mot de Jean-Claude Grumberg concernant les goûts maternels, il ne se passe apparemment rien dans ses textes. Rien que du banal, de l’ordinaire, de l’anecdotique. Le quotidien des personnages, dans Dreyfus, se déroule avant la guerre dans une « Pologne mythique des récits familiaux ». Dans L’Atelier, la scène unique est un atelier de confection juste après la guerre. Tout est tissé de faits anodins, d’incidents ordinaires. Le passé affleure et, quand il surgit, c’est de façon indirecte. Dans Zone libre, c’est à travers quelques noms propres, une allusion au bruit des trains, une périphrase ou une métaphore. Dans La Plus Précieuse des marchandises, il nous parle des « sans-cœur », de « bourreaux dévoreurs d’étoilés », dans L’Atelier d'un soldat nazi « vert-de-gris rose et blond » et les Allemands se résument à « Ils », dans Mon père. Inventaire.
Ses dernières œuvres pour le théâtre dont Pour en finir avec la question juive (2013) rappellent quel « don fantastique pour l’inquiétude, la peur, l’angoisse, » il a hérité de sa mère. Mais s’il est un « pleurnichard », il fait d’abord rire et c’est l’essentiel, surtout en une époque pesante.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
Classification
Média
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