JEAN DE BRÜNN (XIVe s.)
Après avoir été, pendant vingt ans, membre d'une communauté de bégards à Cologne, Jean de Brünn abjure en présence de l'inquisiteur Gallus Neuhaus et rallie l'ordre des Dominicains. Sa confession (1335), obtenue sans torture, livre de précieuses indications sur la pratique du Libre-Esprit dans une association fondée sur la pauvreté volontaire.
En quête d'une vie en accord avec la perfection évangélique, Jean de Brünn (Brno) abandonne son épouse et quitte sa ville natale pour Cologne, où un ami l'introduit dans une maison de bégards. Ayant manifesté le désir d'y demeurer « jusqu'à ce que Dieu l'ait amené à l'état de perfection », il offre son argent à la communauté, se dépouille de ses habits, revêt une tunique rapiécée et est invité à mener la vie du Christ en supportant la dérision et le mépris. Commence alors une période d'initiation. En compagnie d'un frère, il apprend l'art de la mendicité, tout en s'efforçant, par l'exercice de tâches humiliantes, à briser sa volonté. Il s'agit, en effet, de l'annihiler au profit de la volonté divine, « afin qu'obéissant à cette volonté, elle obtienne de mener à sa réalisation tout désir et toute volonté ». La conduite du novice respecte scrupuleusement les signes extérieurs par lesquels se manifeste l'obédience aux lois ordinaires de l'Église. Apparentée à l'évangélisme des ordres mendiants, elle s'en distingue cependant par l'intention secrète qui s'y mêle. Passée l'épreuve du noviciat, où le néophyte a appris, par l'ascèse et l'humiliation, à se dépouiller des séductions du monde, il accède à un stade supérieur.
Dans l'état de perfection où il se trouve alors, tout lui devient permis. « Désormais, lui dit-on, chaque fois que ta nature le réclamera, tu pourras la sustenter en mangeant, en buvant, en usant de tout ce dont elle dispose [...]. Et tu pourras de plein droit mentir et duper les gens de toutes manières possibles [...]. Libre d'esprit, tu es libéré des péchés. » Le frère démuni a le droit de voler quiconque possède des biens : « Dieu s'est attribué tous les biens pour que je m'en serve et que je les transmette à l'éternité. » Dans la conception de jouissance immédiate qu'ils opposent à l'appropriation capitalisée, les bégards estiment en effet que dépenser l'argent, c'est l'envoyer dans l'éternité, celle du Dieu que chacun porte en soi et qui agit en soi.
Il ne faut craindre « ni diable, ni enfer, ni purgatoire, car la nature n'en connaît pas l'existence. Ce ne sont qu'inventions de clercs et de prêtres pour effrayer les hommes. L'homme conscient est lui-même diable, enfer et purgatoire quand il se torture lui-même. Mais le libre d'esprit évite ce genre de tourments, parce qu'il est un homme libéré par la vérité divine. » Les bégards ne reconnaissent aucune autorité : « Ni le pape, ni l'archevêque, ni aucun être vivant n'a d'autorité sur eux [...]. Personne ni aucune créature ne peut me faire obstacle. » Ils n'ont aucun scrupule de tuer quiconque s'oppose à leurs desseins, car ils ne font que « le renvoyer à son principe initial, d'où il était issu ». L'état de perfection affirme le triomphe de l'individu : « J'appartiens à la liberté de nature. Je la satisfais en tout ce qu'elle me réclame et je lui accorde tout en suffisance. »
Les béguines de Libre-Esprit, à qui une égale liberté est reconnue, traduisent la connotation sexuelle de la vertu de charité en invitant les bégards en ces termes : « Frère, je te demande la charité, couche avec moi. » Les mêmes principes règnent parmi les béguines de Schweidnitz, dont le procès, en 1332, recourt au témoignage des novices contre[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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LIBRE-ESPRIT MOUVEMENT DU
- Écrit par Raoul VANEIGEM
- 3 154 mots
Pourtant, plusieurs témoignages échappent à de telles sollicitations impératives. C'est notamment le cas de la confession de Jean de Brünn, un bégard de Cologne qui a choisi de collaborer à la répression de ses anciens compagnons, et de la cédule d'accusation où Johannes Hartmann développe...