LA FONTAINE JEAN DE (1621-1695)
« Parler de loin, ou bien se taire »
La démystification des impostures de toutes sortes qu’entreprend le poète, dans des fictions apparemment puériles ou frivoles, s’accommode difficilement d’une trop grande servilité à l’égard du pouvoir. La Fontaine n’a été attaché qu’à un seul grand personnage, Fouquet, qu’il défendra par une Élégie et une Ode au roi après sa disgrâce. À la différence d’autres auteurs du temps qu’il connaissait (Racine, Molière, Boileau), il n’a jamais obtenu de pension ni de poste de la part du pouvoir. Son élection à l’Académie française, en 1683, ne sera approuvée par Louis XIV que l’année suivante, quand Boileau aura été lui-même élu.
Il n’en fallait pas plus pour que l’on fît du poète un opposant, voire un paria, ostracisé par un monarque qui aurait trouvé trop vives les critiques contre la figure royale dans les Fables. C’est oublier un peu vite que le premier recueil de 1668 est dédié au fils de Louis XIV, le Dauphin (comme le dernier, en 1693, le sera à son petit-fils, le duc de Bourgogne) ; que le second recueil l’est à sa favorite, Mme de Montespan, qui protège La Fontaine ; que Les Amours de Psyché célèbrent, en 1669, la beauté des jardins de Versailles, sur le chantier desquels le poète est bien informé.
Le discours des Fables est de plus, au sujet du pouvoir, assez insaisissable. Au jeu, forcément truqué, des citations tirées de leur contexte, on peut faire de La Fontaine un précurseur de la Révolution (« Notre ennemi c’est notre maître », dit le baudet dans « Le Vieillard et l’Âne ») ou le tenant d’un immobilisme résigné (« De celui-ci contentez-vous, / De peur d’en rencontrer un pire », conclut-on dans « Les Grenouilles qui demandent un roi »). Entre ces extrêmes, le point commun est une posture de recul critique et perspicace, qui ne se laisse aveugler ni par les fastes du pouvoir ni par les aspirations hasardeuses du peuple ou des courtisans. Tirant parti de la position excentrée qui est la sienne – par choix ou par contrainte – à l’égard de la Cour, le fabuliste peut alors adopter la stratégie prônée dans la fable « L’Homme et la Couleuvre » : « parler de loin », plutôt que de devoir se taire en raison d’une trop grande proximité avec un pouvoir éblouissant mais dangereux.
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Écrit par
- Tiphaine ROLLAND : maître de conférences en littérature française, Sorbonne université
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