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JEAN DE RIPA (XIVe s.)

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On sait seulement de Jean de Ripa, l'un des penseurs les plus remarquables de Paris dans la seconde moitié du xive siècle, qu'il publia en 1357 son commentaire des Sentences (Lectura super Primum Sententiarum) et que ses Determinationes, dans lesquelles il répond à Ascensius de Sainte-Colombe, datent de 1358. On ne possède aucun renseignement sur les études qu'il dut faire avant de devenir maître en théologie et d'enseigner à son tour à Paris. Le futur pape Sixte Quint, Felice Peretti de Montalto, alors conventuel et évêque de Sainte-Agathe des Goths, fit apposer une plaque en son honneur sur les murs du couvent de Ripatransone, province de la Marche, en Italie.

Le cardinal Franz Erhle, le premier, attira, en 1925, l'attention sur Jean de Ripa. En 1930, Hermann Schwamm étudia sa conception de la prescience divine et tenta de le situer dans l'école scotiste. André Combes, en 1940, se demanda si la théologie de la béatitude de Ripa fut réellement condamnée ou si elle fut seulement visée par la rétractation imposée, en 1362, à Louis de Padoue. Ainsi fut confirmée l'opinion d'Erhle selon laquelle Jean de Ripa fut l'un des théologiens les plus importants du xive siècle. André Combes n'a pas peu contribué à asseoir cette réputation par son exégèse d'une remarque de Gerson (Jean Gerson commentateur dionysien, 2e éd., Paris, 1973) sur ceux qui acceptent les « formalités » (formalizantes). Il s'interroge sur l'existence à Paris d'une telle école, à laquelle aurait appartenu Ripa.

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Combes a publié (Conclusiones, Paris, 1957), en suivant les divisions traditionnelles des Sentences de Pierre Lombard, le texte des questions que Ripa soulève à l'occasion de son commentaire (Lectura), celui des articles qu'il introduit pour les développer et celui des conclusions qu'il propose. On peut ainsi prendre connaissance des thèses soutenues par le théologien et de leur « armature logique » ou de leur « charpente dialectique ».

Quant aux Determinationes publié par Combes également en 1957, elles introduisent «  au cœur même des spéculations et des problèmes qui ont occupé la faculté de théologie de Paris pendant le dernier tiers du xive siècle ». Dans cet ouvrage, Ripa défend en effet les thèses qu'il jugeait essentielles lorsqu'il composait son commentaire sur les Sentences, en répondant à ces questions : L'essence divine est-elle, selon n'importe quelle perfection intrinsèque, communicable hors d'elle-même comme forme informative ? L'intellect possible est-il formellement puissance active ou passive ? L'essence divine peut-elle être vue de façon compréhensive par une intelligence créable ou créée ? Les Determinationes montrent donc que les contemporains de Jean de Ripa lisaient d'un œil critique son commentaire sur les Sentences, dont on possède l'intégralité du premier livre et quelques fragments des livres II et III. La Lectura posait ces trois questions : Est-il possible absolument que l'essence divine soit forme intrinsèque substantielle ou accidentelle d'une créature quelconque capable de recevoir une forme ? Le rapport d'immutation vitale d'une forme à une puissance créée peut-il ne pas être un rapport d'information, et inversement ? L'essence divine seule peut-elle être lumière formelle et béatifique de l'intellect créé dans la patrie ? Or, les Determinationes font état des réactions d'Ascensius de Sainte-Colombe à ces trois thèses.

L'un des thèmes les plus controversés de la pensée ripienne a donc trait aux concepts d'information et d'immutation vitale et à la possibilité de désolidariser, en une forme donnée pour un intellect donné qui la reçoit, les rapports d'information et d'immutation vitale. Il semble même que dans la première question du Prologue de sa Lectura (L'essence divine peut-elle être, en raison de sa nature immense, pour l'intellect créé, connaissance théologique béatifiante ?), Jean éprouve le besoin de fonder philosophiquement ces concepts et sa manière d'envisager les rapports de ce qu'ils signifient en se demandant si, selon Aristote et Averroès, la première Intelligence peut être connaissance théologique béatifique pour n'importe quelle intelligence qui lui est inférieure. Après avoir établi que l'essence divine dans l'état de béatitude est unie formellement à l'intelligence créée et est pour elle connaissance formelle, Jean de Ripa s'interroge sur la valeur théologique de sa thèse : L'essence divine seule peut-elle être connaissance théologique béatifiante de l'intellect créé ? Les recherches ultérieures dépendent des solutions apportées aux questions précédentes qui concernent la connaissance béatifiante de l'essence divine, considérée en elle-même par un intellect bienheureux.

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Mais une première série de questions surgit du fait que l'essence divine implique une trinité de personnes, et notamment : Quelle connaissance les bienheureux peuvent-ils avoir de ce qui brille dans le Verbe ? Ne connaissent-ils que la seule essence divine ou, par cette essence qui est pour eux connaissance formelle, connaissent-ils également tout être possible ? L'essence divine peut-elle être pour l'intellect créé connaissance formelle de n'importe quel vrai contingent ? D'autre part, étant donné qu'on peut distinguer en Dieu, qui est immense, une pluralité de « raisons » ou de « formalités », plusieurs questions se posent encore, en particulier : est-il possible que l'essence divine soit vue intuitivement et en une seule fois ? Est-il possible que l'intellect créé voie de façon béatifique l'essence divine, sans voir l'une quelconque des émanations éternelles des personnes ? Est-il possible que l'intellect créé voie de façon béatifique l'essence divine selon l'une de ses « raisons » essentielles intrinsèques sans la voir selon une autre que la première n'inclut pas formellement ? Est-il requis pour la perfection de la vision de l'essence divine que l'on connaisse clairement tout énonciable sur le contingent ?

Deux autres questions du Prologue concernent la connaissance théologique des hommes en « état de voie » : Qu'est-elle dans une lumière quelconque créée, naturelle ou surnaturelle ? L'intellect de la créature raisonnable peut-il tout d'abord avoir une connaissance théologique claire et intuitive dans une lumière naturelle ?

Les Determinationes et le Prologue de la Lectura portent donc sur la nature et les conditions de la connaissance théologique sous sa double forme : celle des bienheureux (exemplaire de toute connaissance théologique) et celle de l'homme ici-bas.

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En 1354, Jean de Ripa composa la Question sur le degré suprême (Quaestio de gradu supremo, A. Combes et P. Vignaux éd., Paris, 1964) qui s'énonce ainsi : Toute la latitude imaginaire dont le suprême degré de l'être pris absolument est le terme dérive-t-elle de lui de façon contingente ? Cette question en recouvre quatre autres, dont la première est la suivante : Peut-on mesurer la perfection du degré suprême pris absolument par rapport à la distance qui le sépare du non-être (« le degré zéro ») pris absolument ? Analysant l'article premier, Paul Vignaux expose la notion de « latitude » et ses incidences sur les notions de Dieu « premier être » et « béatitude formelle » d'esprits créés. L'article deuxième traite de la possibilité pour Dieu de produire une espèce suprême infinie de nature intellectuelle dont Dieu, qui est immense, serait le terme « exclusif ». L'article troisième a pour pivot l'affirmation selon laquelle, dans les causes essentiellement ordonnées, il est possible absolument de remonter à l'infini (ce qui ruine le fondement classique des preuves de l'existence de Dieu). L'article quatrième, enfin, montre que la création suppose l'émanation éternelle des personnes divines et que le Fils et l'Esprit saint sont, comme le Père et non moins que lui, « principe contingent de création ». La Question sur le degré suprême concerne donc le problème de l'infinitisme, que reprend et développe Jean de Ripa dans d'autres passages de sa Lectura (I, 2 ; II, 2).

— Francis RUELLO

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'École pratique des hautes études, docteur en philosophie, professeur à l'Université catholique de l'Ouest

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