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SPONDE JEAN DE (1557-1595)

Né au Pays basque d'une famille protestante, Jean de Sponde est un personnage étrange et instable, à qui ses adversaires reprocheront une « mélancolie si forte que nulle ellébore ne l'a pu purger, encore qu'il ait beaucoup alambiqué son cerveau après son Alchymie ». Excellent humaniste, il traduit Homère et Hésiode en latin, Sénèque en français. Maître des requêtes d'Henri de Navarre, il semble chargé de plusieurs missions, avant d'être nommé lieutenant général de la sénéchaussée à La Rochelle en 1589 ou 1590. Il se démet de ses fonctions quelques années plus tard et se convertit au catholicisme en 1593, sans que l'on puisse bien démêler dans son acte la part de la conviction (sans doute réelle) et celle de l'opportunisme, mais il n'en perd pas moins la faveur du roi. Il quitte alors la vie publique après avoir publié une Déclaration des principaux motifs qui l'ont poussé à abjurer le protestantisme, se retire dans les montagnes de Biscaye et se consacre à une réfutation des thèses des réformés, la Response au traicté des marques de l'Église de Théodore de Bèze. Il meurt à la tâche et dans la misère.

Ses contemporains ont apprécié l'humaniste, le juriste et le théologien ; les protestants ont, après sa conversion, poursuivi de leurs sarcasmes l'alchimiste, l'ingénieur, l'administrateur, et de leur haine (voire de leurs calomnies) le nouveau champion de la foi catholique. Mais l'œuvre poétique de Sponde est restée méconnue. C'est pourtant à cette œuvre, exhumée il y a moins d'un demi-siècle par un érudit anglais, A. M. Boase, que son nom a d'abord dû de revivre. Elle comprend un recueil d'Amours, où l'auteur, à l'aide de métaphores variées et d'antithèses, proclame sa constance, des Stances de la Cène et un Autre Poëme sur le mesme subject qui révèlent un remarquable théologien calviniste, et surtout d'admirables pièces sur la mort : les Stances de la mort et douze Sonnets sur le mesme subject. Sponde y oppose à l'attrait du monde inconstant et fragile (thème privilégié de la poésie baroque) l'aspiration à cette stabilité, à cette immobilité hors du temps que procurera la mort : « Cette poésie serrée, dure, abstraite [...] est toute tendue vers l'immuable. Son mouvement propre est fait de cette tension entre ce qui se meut et ce qui ne se meut pas. » (J. Rousset.) A. M. Boase avait retrouvé l'ensemble de ces pièces dans un recueil posthume ; vingt ans après cette première découverte, il devait en faire une seconde : celle du volume que Sponde avait dédié en 1588 à Henri IV et qui comprenait des Méditations en prose sur quatre psaumes (que l'on croyait perdues), suivies, sous le titre d'Essay de quelques poëmes chrestiens, des Stances de la Cène, des Stances de la mort et des Sonnets sur le mesme subject (que l'on connaissait déjà). Une étonnante coalition — celle des catholiques qui ne pardonnaient pas à l'ouvrage son inspiration calviniste, et celle des protestants qui ne pardonnaient pas à l'auteur sa conversion — avait failli faire disparaître à jamais ces pages extraordinaires par la ferveur de la foi et la beauté du style, par leur « qualité poétique » (A. M. Boase), dans lesquelles on voit volontiers l'œuvre maîtresse de Sponde et qui font de lui l'un des prosateurs (et non seulement l'un des poètes) religieux les plus importants de son temps.

— Bernard CROQUETTE

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII

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