DELUMEAU JEAN (1923-2020)
Jean Delumeau fut un grand historien du christianisme et du sentiment religieux, dont l’œuvre est à la fois marquée par l’influence de l’école historique des Annales et son engagement catholique. Né à Nantes le 18 juin 1923 et mort à Brest le 13 janvier 2020, il mena une carrière qui se lit comme un modèle français : l’École nationale supérieure de la rue d’Ulm, l’agrégation, l’École française de Rome, l’université de Rennes, celle de la Sorbonne, une direction à l’École pratique des hautes études, l’élection au Collège de France en 1974, où il occupa la chaire d’histoire des mentalités religieuses de 1975 à 1994. Il fut également membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres à partir de 1988. Jean Delumeau, historien, chercheur, découvreur, a parfaitement rempli le temps qui lui a été imparti : trois moments marquent son parcours, presque trois carrières en une. Il fut d’abord, entre Fernand Braudel et Ernest Labrousse, un historien du socle socio-économique : de Rome à Saint-Malo, des mines d’alun aux mouvements des bateaux du port breton, il mit en œuvre le quantitatif et le sériel, l’histoire des techniques et des progrès économiques. Son originalité, par rapport aux thèses qui illustraient alors la recherche française, résidait incontestablement dans son tropisme romain. Alors que la plupart des thèses d’histoire sociale concernaient les provinces françaises, la passion de Jean Delumeau pour Rome et l’Italie éclairait différemment ses recherches.
Puis, dans l’effervescence contemporaine de Vatican II, il devint le maître d’une nouvelle façon de faire de l’histoire religieuse : histoire des croyances, histoire des sacrements, histoire du vécu religieux, qui est parfois assez éloigné du prescrit. Naissance et affirmation de la Réforme(1965) et Le Catholicisme entre Luther et Voltaire (1971) marquèrent des générations d’étudiants et de chercheurs. Il montra le point commun entre toutes les réformes : un gigantesque effort d’acculturation religieuse, la volonté d’imposer à tous une religion pensée par des élites. C’est la question de la christianisation qui est alors posée et qui continue à fournir des clés pour comprendre le passé comme le présent, du christianisme comme des autres religions. La christianisation comme la déchristianisation ne peuvent se concevoir d’en haut, du moins pas uniquement.
Il y eut une nouvelle étape dans le cheminement intellectuel de Jean Delumeau, marquée par la publication en 1977 du Christianisme va-t-il mourir ?, et en 1978 de La Peur en Occident,xive-xviiie siècle. Une cité assiégée. Les lectorats sont différents, mais les deux ouvrages se complètent : le christianisme risque de disparaître s’il ne rompt pas définitivement avec la « pastorale de la peur ». Jean Delumeau opère un recentrage de l’histoire moderne, que l’on envisageait avant lui sous un angle plus glorieux entre Renaissance et Lumières. Or il y eut alors floraison de peurs concomitantes, des « trains de peurs ». Ces peurs ont été structurantes car, loin de relever des seules émotions populaires, elles ont été élaborées et théorisées par les élites : juges et théologiens furent largement responsables de la persécution des sorcières, des blasphémateurs et des hérétiques… Dans la lignée de Marc Bloch et de Lucien Febvre, Jean Delumeau renouvelle l’étude des sensibilités et des mentalités religieuses qui ont façonné la société occidentale. C’est évidemment la dimension la plus flamboyante de son œuvre. La peur, la culpabilisation et l’espérance sont devenues, grâce à son immense érudition, les territoires de l’historien. En dépit des merveilleuses pages consacrées aux représentations du paradis, il demeure, et il le regrettait parfois, le spécialiste de la peur. Mais la peur est sans doute ce qui caractérise notre temps, et il est difficile[...]
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Écrit par
- Monique COTTRET : professeure émérite, université Paris-Nanterre
- Jacqueline LAGRÉE : professeure émérite de philosophie, université Rennes-1
Classification
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