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DUNS SCOT JEAN (1266 env.-1308)

La foi et la raison (positions comparées de Thomas d'Aquin et de Duns Scot)

À l'exemple d'Étienne Gilson, il nous paraît éclairant d'interroger d'abord le prologue de l'Ordinatio, parce qu'il contient un véritable dialogue entre les théologiens et les philosophes. La question est de savoir s'il y a place, à côté de la réflexion naturelle, pour une révélation surnaturelle. Longtemps on s'était plutôt demandé quelle aide le théologien pouvait recevoir de la philosophie ; l'invasion d'Aristote conduit en quelque sorte à renverser le problème. Les condamnations de 1277 prouvent, en effet, que, dès la fin du xiiie siècle, l'idée apparaît d'une métaphysique et d'une éthique naturelles qui se suffiraient à elles-mêmes. Et déjà saint Thomas consacre le premier article de sa Somme à réfuter, non seulement ceux qui pensent que l'esprit humain n'a pas à « scruter ce qui est au-dessus de ses forces » (Eccli., iii, 22), position fidéiste qui exclurait la théologie comme science, mais aussi ceux qui, avec Aristote, voient dans la philosophie un tout achevé, comportant, à côté de la physique et des mathématiques, cette connaissance naturelle du divin qui constitue la « philosophie première ». Tout en évoquant dans sa réponse un texte paulinien (II Tim., iii, 16) qui lie la sagesse à l'étude des saintes Lettres et le salut à la foi, le Docteur angélique évite avec soin de séparer radicalement deux sources de vérité. Il admet qu'avec beaucoup de temps, et au prix de maintes erreurs, la raison peut connaître l'existence de Dieu et certains de ses attributs, en vertu d'une lumière intellectuelle commune à tous les hommes, mais non certains mystères comme la Trinité et l'Incarnation (et même la création dans le temps, domaine où la raison se heurte à de véritables antinomies) ; et il juge en tout cas « plus sûr et plus convenable » que la philosophie, sur le terrain où elle est incontestablement compétente, dispose du secours d'une lumière surnaturelle. Cependant, théologie naturelle et théologie révélée portent sur un seul objet, connu de deux manières (comme la rotondité de la Terre se démontre également par voie astronomique ou par voie physique). C'est pourquoi la doctrine sacrée (c'est-à-dire l'enseignement qui se donne à la faculté de théologie) est une vraie science, authentiquement spéculative, encore que ses syllogismes fassent place à des prémisses de foi ; car les vérités que « croit » l'homme ici-bas selon l'autorité de l'Écriture et de l'Église sont celles mêmes dont l'ange et le bienheureux ont l'authentique savoir, et, pour justifier sa position, l'Aquinate recourt encore à une analogie quelque peu surprenante et que refusera Duns Scot : en vertu de la distinction aristotélicienne entre sciences « architectoniques » et « subalternées », le perspectiviste et le musicien exercent une activité proprement scientifique, encore qu'ils reçoivent tout faits leurs principes de la géométrie et de l'arithmétique ; n'en va-t-il pas de même du théologien ? (cf. Sum. theol., Ia, qu. 1, art. 2).

Duns Scot ne s'oppose directement à saint Thomas ni sur l'existence légitime de deux disciplines (métaphysique et théologie) ni sur l'impossibilité de toute contradiction entre deux ordres de vérité. On notera même que, ayant reçu d'Avicenne un aristotélisme en quelque sorte « replatonisé », il reconnaît en droit plus de pouvoir à l'intellect humain que ne le faisait l'Aquinate ; pour lui, l'objet propre de cet intellect n'est pas la simple «   quiddité de la chose sensible » (le terme barbare de quidditas traduisant l'expression grecque qui indique « ce qu'est » proprement une chose), mais[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Autres références

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