DUNS SCOT JEAN (1266 env.-1308)
L'essence et l'existence
Mais cette métaphysique serait-elle « essentialiste » et privilégierait-elle la conception abstraite de l'étant indéterminé au détriment d'une saisie concrète de l'existant comme tel ? Interprété dans des cadres strictement thomistes, le langage de Scot peut tromper, de même qu'une exégèse « phénoménologique » de la visée « intentionnelle » comme structure indépendante à la fois de la res extra-mentale et de son propre contenu psychologique risque de faire méconnaître le réalisme foncier de la gnoséologie scotiste. S'il est vrai que la fameuse « distinction formelle » n'atteint ni des réalités physiquement séparables ni de purs « êtres de raison », elle a toujours son fondement dans la chose elle-même (In Met., vii, 19, 15). C'est pourquoi l' existence ne s'ajoute pas du dehors à l'essence comme un attribut supplémentaire, mais la saisie de l'étant ne serait d'emblée saisie de l'existant que si tout ce qui est était a priori nécessaire. La réalité même du contingent impose que la métaphysique soit d'abord science de l'« existible » ; de ce qui n'est ni singulier ni universel, ni fini ni infini, ni parfait ni imparfait, et qui, saisi dans sa pureté originaire, n'est pas une simple copule logique mais la réalité commune à tout ce qui « est » (« en soi » ou « en autrui ») et à tout ce qui « peut » être. Si cette réalité « intelligible », qui n'est pas une idée platonicienne mais le substrat de tous les « transcendants » (passions convertibles : un, vrai, bien ; passions disjonctives : infini et fini, nécessaire et contingent, etc. ; perfections modales : sagesse, connaissance, volonté, etc.), n'était pas « univoque », tout discours serait « équivoque » et finalement inconsistant. C'est pourquoi Duns Scot réduit l'usage de l'« analogie » thomiste au niveau des modes ; car, posée comme caractère foncier de l'étant comme tel, elle empêcherait toute stricte communauté ontologique entre l'infini et le fini, entre l'incréé et le créé, et interdirait, croit-il, toute inférence valable concernant le premier Étant.
Aussi bien les preuves de l'existence de Dieu prennent chez lui un caractère original et ne se réduisent ni aux « voies » de saint Thomas ni à cet argument anselmien que Kant qualifiera d'ontologique. Pour une métaphysique « en elle-même », Dieu se démontrerait a priori ; dans sa condition présente, l'homme doit recourir non point aux créatures contingentes mais aux propriétés de l'être visées à travers elles. Au lieu de considérer avec saint Thomas la présence effective de corps « mus » pour remonter au premier « moteur », Scot envisage le « muable » comme tel, et c'est d'une « aptitude effective » (bien autre chose qu'un simple « possible » de caractère logique) qu'il remonte (de « dépassé » en « dépassant ») jusqu'à l'action productrice de l'Étant premier qui ne peut dépendre d'aucun autre ; mais, bien que l'argument de saint Anselme puisse être alors d'une certaine façon incorporé à la démonstration, il ne s'agit pas de faire sortir magiquement l'existence de la pure essence, car le premier ens visé à titre d'existible contenait déjà virtuellement référence à l'étant concret (mais au-delà de sa présence « mondaine » comme créature qui pourrait ne pas être). Le Dieu ainsi atteint est premier dans l'ordre de la causalité et de la finalité, éternel et vivant, source de toute vérité (cf. De primo principio). Il lui manque ce que seule enseigne la théologie révélée : les libres décisions du Tout-Puissant et ce qui fait de lui plus qu'un étant, même premier (immensité,[...]
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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