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DUNS SCOT JEAN (1266 env.-1308)

Intellect et volonté

La réflexion philosophique ne joue pas cependant le seul rôle d'une préparation naturelle à la foi (importante dans la mesure où Scot sépare soigneusement le « su » du « cru » et attache une importance primordiale à la vocation propre de l'intellect), ni même celui d'un simple auxiliaire utile à l'exposition systématique des vérités révélées requises pour le salut. En fait, même dans des perspectives laïcisées, le scotisme appartient à l'histoire de la pensée humaine de plusieurs manières, encore que le Docteur subtil n'ait traité qu'en passant (mais de façon souvent perspicace) des questions touchant le savoir scientifique ou la morale sociale, selon les exigences particulières de tel commentaire d'Aristote ou du Lombard. Il serait difficile ici d'insister sur sa doctrine des universaux, mais il faut souligner l'importance que joue chez lui l'activité constitutive de l'esprit. Que ce soit directement (intention première) ou indirectement (intention seconde), l'intellect vise toujours un étant ou les relations formelles de cet étant, par une « négociation » qui, par exemple, saisit d'un seul mouvement des réalités successives ou, par-delà l'indifférence foncière de l'être univoque à ses modalités, le considère, soit dans sa singularité unique (que les successeurs de Scot qualifieront d'« haeccéité »), soit dans sa forme spécifique ou générique. À cet effet, il n'a besoin d'aucune « illumination » de type augustinien ; mais (sauf dans le cas du miracle où Dieu se substitue à la chose), il n'agit, à titre de cause principale, que « synergiquement » avec ce que nous appellerions en langage moderne la présence objective du connu, et qui est ici une cause subordonnée ; car l'esprit est supérieur en dignité, sinon toujours à la chose elle-même, du moins à ce qu'il sait de cette chose. Ainsi la théorie scotiste de l'induction, tout en faisant une place remarquable à l'expérience (d'autant plus nécessaire que la liberté divine nous interdit une déduction a priori des structures créées), évite l'écueil du simple empirisme probabiliste en permettant le passage à ce qu'on nomme aujourd'hui la « loi » (ou relation constante) grâce au principe selon lequel « tout ce qui advient le plus souvent sous l'effet d'une cause non libre (c'est-à-dire ici une cause seconde agissant selon l'ordre librement prédéterminé par Dieu) est l'effet naturel de cette cause » (Ord., I ; dist. 3, pars 1, qu. 4). Or ce principe même ne se trouve « quiescent dans l'âme » que parce que l'intellect, même soumis, dans son statut actuel, à l'exigence de passer par la médiation du sensible, saisit de droit et dès l'abord la communauté ontologique entre tous les étants.

Un schéma analogue peut éclairer la relation entre le connaître et le vouloir, souvent défigurée par des exposés superficiels et tendancieux. Il est certain que la liberté est, pour Scot, la plus « noble cause » parce qu'elle seule conduit à la jouissance d'un Dieu qui est avant tout amour (et, sur un plan plus profane, Descartes, qui ne se réfère guère à la vision béatifique, sera bien dans la ligne scotiste lorsqu'il verra dans la volonté libre la véritable marque du Créateur sur la créature pensante). Qu'il s'agisse de Dieu ou de l'homme, Duns Scot refuse assurément de sacrifier cette liberté à aucune « nécessité » qui s'imposerait d'elle-même à la décision comme la chute vers le bas s'impose, dans l'ancienne physique, aux corps lourds, ou même comme un Éros platonicien détermine la remontée des âmes vers leur lieu naturel. C'est librement que Dieu aime et veut ; les bienheureux eux-mêmes ne jouissent[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I
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