DUNS SCOT JEAN (1266 env.-1308)
Éthique, sociologie et politique
On s'est parfois mépris sur la morale scotiste en confondant certaines thèses du Docteur subtil avec les paradoxes « dialectiques » que les ockhamistes, un peu plus tard, fonderont sur la même distinction entre ce qui appartient à la « puissance absolue » de Dieu et ce qui relève seulement de sa « puissance ordonnée ». Ni pour Duns Scot ni pour Ockham, la liberté du Tout-Puissant n'implique assurément que ses décisions puissent contrevenir au principe de non-contradiction et que, par exemple, il nie sa propre essence en voulant le mal, ni davantage qu'ayant prescrit un vrai bien il le déclare ensuite expressément mauvais. Mais Ockham écrira que, pour nous, les choses prescrites ne sont bonnes que parce qu'elles sont commandées ; la formule de Scot est exactement inverse. Les nominalistes déclareront que, dans une autre économie, également bonne puisque voulue par Dieu, il n'eût pas été impossible que l'homme fût tenu d'adorer un âne (tout comme Descartes, sur un tout autre terrain, celui des structures mathématiques, affirmera que Dieu aurait pu créer d'autres « idées éternelles »). Pour Scot, les deux premiers commandements du Décalogue (soumission au Dieu unique et interdiction de profaner son nom) répondent à des exigences absolues du « droit naturel » entendu stricto sensu, et le troisième (fixation du sabbat) l'est au moins en ceci qu'il prescrit un culte régulier (le jour de ce culte variant toutefois de l'Ancienne à la Nouvelle Loi). Les sept autres commandements (ou « deuxième Table »), n'ayant pour objet que des relations entre créatures contingentes, auraient pu prendre d'autres formes et n'ont pas le même caractère rigoureusement « indispensable ». Encore que cette doctrine soit traditionnelle (on la trouve en termes très voisins dans le De praecepto et dispensatione de saint Bernard), elle diffère sensiblement de celle de saint Thomas qui, plus proche ici du stoïcisme, réfère toute l'« intention du Législateur » au même et unique « droit naturel », nécessaire, universel et immuable. Pour le Docteur angélique, si les Hébreux ont pu dépouiller les Égyptiens (Ex., xii, 35), c'est qu'ils ne prenaient que leur bien légitime (Sum. theol., Ia, IIae, qu. 100, art. 8). Duns Scot refuse au contraire de situer dans le cadre rigide d'une même loi divine des décisions qui, en toute hypothèse, se fussent imposées à moins que Dieu ne contredît à sa propre essence, et celles qui ne sont liées qu'à sa puissance « ordonnée » et comportent, par conséquent, en vue d'un bien meilleur, de vraies « dispenses » (Op. ox., IV, dist. 33, qu. 1, n. 4).
Ce n'est pas à dire que l'interdiction du meurtre, du vol et de l'adultère soit une simple convention arbitraire, née des caprices provisoires du Tout-Puissant, ou des hasards de l'histoire. Au sens « large » du terme, on peut parler d'un jus naturale non totalement irréformable, mais fondé sur la « nature » des choses créées. Sous la seule réserve que ces choses « auraient pu » être créées autrement et que les circonstances peuvent conduire à quelques modifications dans le contenu concret des préceptes (passage de la polygamie à la monogamie, de la communauté des biens à la possession privée, etc.), les commandements de la deuxième Table sont en « consonance évidente » avec les « principes et conclusions » du droit naturelstricto sensu, encore qu'ils n'en découlent pas « nécessairement » (Op. ox., IV, dist. 26, qu. un., n. 7). Cette distinction subtile, mais non captieuse, éclaire les positions scotistes sur le mariage, la propriété, le pacte social, l'esclavage, la légitimité du profit commercial, etc.
Pour saint Thomas, famille et cité sont deux réalités foncièrement[...]
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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