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EUSTACHE JEAN (1938-1981)

Un cinéma-vérité très autobiographique

Au cours de l'hiver de 1963, Eustache réalise Du côté de Robinson avec un budget très modeste. Il s'agit d'un moyen-métrage en 16 mm, sans son synchrone, tourné en noir et blanc dans les environs de Pigalle. Deux ans plus tard, également en plein hiver, il réalise à Narbonne Le Père Noël a les yeux bleus, dont il confie le rôle principal à Jean-Pierre Léaud. Entre-temps, il a été le monteur pour Jacques Rivette, de trois émissions télévisées de 52 minutes destinées à la série Cinéastes de notre temps, sous le titre Jean Renoir le patron.

Ses deux premiers films, réunis sous le titre commun Les Mauvaises Fréquentations lors de leur distribution en 1967, appartiennent au mouvement du « cinéma-vérité », ou « cinéma direct », même s'ils sont rigoureusement écrits et interprétés par des acteurs. Dans le premier, Eustache montre deux compères qui vivent de petits boulots et cherchent à « emballer » une fille. Ils accostent une jeune femme qui attend une amie, et l'accompagnent dans un dancing populaire. Pendant qu'elle danse avec un client, ils lui volent son sac mais, pris de remords, lui renvoient le lendemain ses papiers. Dans Le Père Noël a les yeux bleus, un jeune garçon pauvre rêve de s'offrir un duffle coat. Il accepte, pour gagner la somme nécessaire, le rôle de père Noël que lui propose un photographe. Lors des prises de photos, le jeune homme en profite pour caresser maladroitement quelques jeunes femmes. Le film est commenté en voix off par le narrateur qui se souvient de son adolescence.

Eustache approfondit et radicalise sa démarche documentaire avec La Rosière de Pessac. Il filme avec la plus grande neutralité possible une fête locale assez désuète, la sélection de la jeune fille la plus vertueuse de la communauté. Onze ans plus tard, il filme une seconde fois cette fête en s'efforçant de conserver les mêmes cadrages et le même dispositif. Il entend s'inscrire dans l'héritage du « cinéma primitif » des frères Lumière, en s'appuyant sur le fait que cette coutume locale a pris naissance en 1896. On peut rattacher à cette démarche Le Cochon, tourné en 1970, avec Jean-Michel Barjol. Les deux cinéastes filment selon une perspective ethnographique la mise à mort d'un cochon et les étapes de sa transformation en produits alimentaires. Dans cette première phase de sa carrière, Eustache s'efforce d'effacer la séparation entre fiction et documentaire. Pour lui, faire un film, c'est « laisser le film se faire », de sorte que « du cinéma puisse se faire ». Pour cela, il renonce à tout effet de mise en scène trop explicite.

Le long-métrage suivant surprend les critiques. Il est très long (3 h 40), filmé en 16 mm et en noir et blanc, avec de nombreux gros plans. Son aspect violemment autobiographique choque une large partie du public, surtout au festival de Cannes où le film est copieusement sifflé. La Maman et la putain est un film intimiste qui décrit minutieusement les rapports triangulaires entre Alexandre, jeune homme sans travail qui passe ses journées à lire dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés et de Montparnasse, Marie, sa compagne, qui l'entretient, et une jeune infirmière, Veronika, qui devient sa maîtresse.

Le film est entièrement construit sur des conversations qui sont plus des monologues que des dialogues. Ces scènes sont la plupart du temps cadrées en plan séquence ou en champs - contre-champs classiques. La force du film repose sur l'authenticité quasi sociologique des dialogues pourtant énoncés sans naturalisme, mais avec une diction très travaillée. Alexandre tutoie ses amis et connaissances, mais il vouvoie ses deux partenaires féminines. On y parle beaucoup de cinéma, de l'air du temps et on y entend in extenso des chansons nostalgiques comme Les Amants[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

  • LA MAMAN ET LA PUTAIN, film de Jean Eustache

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    • 1 042 mots

    La Maman et la Putain obtint en 1973 le prix spécial du jury au festival de Cannes. Il fut copieusement sifflé par le grand public. C'est évidemment un film qui n'est pas consensuel. Le suicide de son auteur à quarante-trois ans en novembre 1981 a accentué le statut testamentaire de ce film exceptionnel....

  • LÉAUD JEAN-PIERRE (1944- )

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