FOUQUET JEAN (1420 env.-av. 1481)
Le retour au réalisme
Le rayonnement du style international, art stylisé, idéaliste, suscita une réaction dès le début du xve siècle. Les commanditaires, la cour et les hauts dignitaires ecclésiastiques furent de plus en plus sensibles à une nouvelle esthétique de la figure humaine, où la réalité, ou plutôt la reconstruction de la réalité, jouait un rôle prépondérant. Un texte de la fin du xve siècle explique très clairement l'aboutissement de ces tendances. Pour « une portraiture en cuivre de fonte » de Louis XI, on exige qu'elle « approche de la personne du roy le plus qu'on pourra ». Or, ce problème du vérisme exigeant a été résolu d'une manière révolutionnaire par Fouquet dans ses œuvres de jeunesse, tel le portrait de Charles VII (et probablement aussi le portrait d'Eugène IV, perdu malheureusement) ; ces œuvres mettent en évidence ce qui sépare Fouquet des maîtres flamands. Il ne se sert pas de moyens psychologiques, à la manière de Roger Van der Weyden, car les difficultés du réalisme pathétique lui étaient bien connues. L'union du modelé et du coloris raffiné est subordonnée à la conception des formes. Tous les détails doivent s'ajuster à l'ensemble préconçu : le peintre les complète a posteriori comme l'ont révélé les radiographies ; sa méthode est par là diamétralement opposée à celle de Van Eyck. Cette géométrie de composition apparaît au début tâtonnante, empirique. Ce qui est particulièrement frappant dans le portrait de Charles VII (Louvre), c'est qu'il traduit l'expression d'une énergie émoussée. Le traitement du fond et le modelé attirent l'attention vers le haut de la toile, vers les ondulations de la surface ; les rideaux « encerclent » le corps et lui restituent une résistance interne de volume qui contraste avec le relâchement du visage. Les formes intégrées dans l'ensemble sont plus simples, l'importance structurale du tracé ressort nettement. Les rideaux rendent sensible la séparation entre image et spectateur, ils limitent l'espace interne et s'écartent, presque avec réticence, de ce personnage connu pour ses angoisses maladives et sa méfiance. Il y a là une grande détresse, mais une détresse surmontée par la certitude de la venue d'une époque de renouveau.
Le diptyque de Melun incarne l'épanouissement de l'art de Fouquet. Les panneaux ont une iconographie complexe, d'interprétation difficile, fondée sur l'idée de médiation, sur le vœu d'Étienne Chevalier, mais aussi sur les convictions personnelles du peintre. À l'origine, ils étaient pourvus d'un cadre rappelant celui du Portrait des époux Arnolfini de Van Eyck. « Des bordures [...] couvertes en dedans de velours bleu », nous dit l'historien Godefroy, qui avait encore vu le tableau à Notre-Dame de Melun, « enrichi tout autour [...] de grands lacs d'amour [...] dans chaque côté un grand E à l'antique [...] et entre ces lacs d'amour sont les médailles d'argent doré, de moyenne grandeur, représentant quelque histoire sainte dont les personnages sont peints admirablement bien ». Il est donc possible qu'aient fait partie de ce cadre deux merveilleux émaux, exécutés dans une technique particulière originaire des Flandres, l' autoportrait de Fouquet ainsi qu'un autre médaillon (perdu lors de la dernière guerre, il appartenait à l'ancien Schlossmuseum de Berlin). Ce premier autoportrait d'un peintre français se serait donc intégré au cadre d'un chef-d'œuvre réalisé pour un mécène, exécuteur testamentaire d'Agnès Sorel. Étienne Chevalier semble avoir eu une véritable passion pour faire perpétuer des événements importants de sa vie et de son temps par la peinture de Fouquet. Dans les Heures, commandées probablement après[...]
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Écrit par
- Claude SCHAEFER : docteur ès lettres, professeur honoraire d'histoire de l'art, universités de Montréal et de Tours
Classification
Médias
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