DUCIS JEAN-FRANÇOIS (1733-1816)
Chacun sait que Ducis a eu l'idée de transplanter Shakespeare sur la scène française sans savoir l'anglais, mais personne ne lit plus son théâtre, pourtant apprécié du public entre 1770 et la Révolution. L'erreur serait de prendre ces pièces pour des traductions, qu'elles n'étaient évidemment pas, et de les condamner sans autre forme de procès au lieu de les étudier comme des tentatives d'adaptation originales en leur temps, sorte de demi-mesure, d'amalgame, de compromis bâtard entre l'ancien et le nouveau, étape nécessaire dans la voie du renouvellement du théâtre en France. Comme Bernardin de Saint-Pierre, comme Delille, Ducis appartient à la génération charnière entre les Lumières et le romantisme. Comme eux, il a traversé la Révolution sans dommage. L'auteur dramatique est bien oublié, mais l'autre Ducis, le bon Ducis, le Savoyard au cœur d'or, catholique pratiquant, homme simple, citoyen honnête (il se disait républicain), vieillard heureux, retient l'attention. Encore ne faudrait-il pas enterrer trop vite l'écrivain : Abufar (1795), sa seule pièce originale, contient des traits de préromantisme qui anticipent sur Chateaubriand et sur Lamartine. Le patriarche débonnaire avait besoin de la vieillesse pour s'accomplir tout à fait : « Vieux, sa vieillesse eut l'esprit de son âge », dit-il. Le retraité des dernières années écrit des vers (épîtres, poésies diverses) et des lettres à ses amis, d'une saveur attendrissante. À l'écart du tourbillon du monde, il est, dans la France repentie d'avant la Restauration, le chantre inlassable des vertus domestiques. Pour un peu, il arriverait à prouver qu'avec de beaux sentiments on ne fait pas forcément de la mauvaise littérature.
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Écrit par
- Édouard GUITTON : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne
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