MILLET JEAN-FRANÇOIS (1814-1875)
La peinture de Millet, longtemps très populaire, a été appréciée en vertu de critères d'ordre social ou moral, mais rarement en tant qu'œuvre plastique : c'est ce qu'a justement entrepris la critique récente. Par ses origines, comme par l'univers de toute son œuvre, Millet fait figure de personnalité à part, généralement estimée pour ses qualités de générosité et de probité. Né dans le Cotentin, ce fils de paysan a eu la vocation de la peinture ; elle ne l'éloigna jamais ni de son milieu social ni du sens des réalités, ni d'une éducation marquée par la Bible, qui donne au peintre un goût parfois sentencieux et solennel. Ses premières œuvres, dans les années 1840, enjouées et décoratives, à la palette riche, sont des scènes pastorales et des nus, ainsi qu'une série de beaux portraits appréciés de la clientèle bourgeoise de province. Le modelé en est énergique et, tels les portraits d'officier de marine (1854, musées de Lyon et de Rouen), ils font preuve d'un sens de l'unité des formes, de la simplification avec un maximum de densité, qui caractérise toute la démarche de son œuvre graphique et picturale.
Vers 1846, Millet modifie radicalement sa conception de la peinture : le style, comme le choix des sujets, vont aller vers plus de gravité en même temps qu'ils tendent au réalisme. C'est l'abandon des sujets allégoriques, des thèmes pastoraux libres et sensuels, pour l'univers d'origine du peintre : l'homme à la campagne. Le premier de sa génération, il s'attache à montrer le paysan au travail dans une nature qui n'existe que par rapport au labeur de l'homme ; « c'est le côté humain, franchement humain, qui me touche », écrit-il. Alors que d'autres artistes contemporains, Troyon ou Jules Breton par exemple, idéalisent leurs sujets paysans dans le sens moralisateur de la mentalité bourgeoise et dans le style décoratif qui plaît à la clientèle fortunée, Millet tente de dégager l'essence de la condition humaine aux champs. Ses innombrables croquis, ses dessins très achevés, son extrême lenteur d'exécution sur la toile témoignent que le processus de création s'est peu à peu transformé dans le sens d'une réflexion plus profonde, d'une véritable méditation aboutissant à un art synthétique. Les gestes des travailleurs ou des mères, les attitudes des corps, dans l'effort comme dans le repos se veulent chargés d'un sentiment d'éternité qui n'est pas toujours dépourvu d'emphase ni de procédé. Avec Le Semeur de 1850 (musée de Boston), c'est le premier succès de Millet : il est compris comme un regard nouveau sur la vie paysanne ; on soulignait alors l'aptitude de l'artiste à « donner aux plus simples travaux de la campagne une grandeur biblique ». L'art de Millet va s'orienter vers une conception plus monumentale des compositions, la touche devient plus franche et l'éclairage s'assombrit. Il vit depuis 1849 — et jusqu'à sa mort — à Barbizon, auprès de son ami le peintre Théodore Rousseau ; existence tranquille et laborieuse, rythmée par les envois réguliers au Salon et interrompue par quelques voyages en Auvergne ou en Normandie. Dans les années 1850, c'est l'époque des admirables dessins au crayon gras (qui se vendaient bien aux amateurs de passage à Barbizon), puis des eaux-fortes au modelé sans aucune hésitation ni effort d'illusionnisme (Le Départ pour le travail, 1863). De 1855 à 1857, il peint le célèbre Angélus (musée d'Orsay, Paris), maintes fois reproduit, pastiché, commenté et critiqué. Gambetta y verra, par exemple, en 1873, l'affirmation pour la peinture d'un « rôle moralisateur, éducateur ; le citoyen passe dans l'artiste et avec un grand et noble tableau nous avons une leçon de morale sociale[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre MOUILLESEAUX : historien de l'art, chargé de mission à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites
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Médias
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