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GENET JEAN (1910-1986)

Un théâtre de la transgression

En avril 1947, Genet devient un auteur de théâtre. Les Bonnes, inspirées du crime des sœurs Papin, sont créées à l'Athénée dans une mise en scène de Louis Jouvet. La romancière Violette Leduc, révélée simultanément par les mêmes protecteurs – Sartre, Beauvoir, Cocteau, Jouhandeau –, bâtarde elle aussi et si profondément admirée par Genet qu'il lui dédie sa pièce, réagit très violemment à ce qui lui apparaît comme une récupération bourgeoise de la poésie de son ami : « Couturiers et parfumeurs banalisaient deux tigresses de province. L'écriture solennelle de Genet, ses périodes embellissaient les couvertures de fourrure blanche [...]. Est-ce qu'on demande à Racine d'écrire les poèmes de Rimbaud ? Est-ce qu'on demande à Rimbaud d'écrire les pièces de Racine ? »

La scène va pourtant devenir le moyen d'expression privilégié de Genet. Dès l'année suivante, il conçoit un ballet, 'Adame Miroir, qui réunit les artistes alors les plus en vue : chorégraphie de Roland Petit, musique de Darius Milhaud, costumes de Leonor Fini, décors de Paul Delvaux... Il écrit Splendid's, qui ne sera publié et joué qu'après sa mort, puis Haute Surveillance (1949), acclamé par une autorité jusqu'ici silencieuse et qui achève la reconnaissance officielle de l'écrivain : François Mauriac. La prison, les passions entre hommes, la transfiguration de la sexualité, la grandeur du crime entraient en littérature sans être marginalisées. Certes, il y avait des précédents, mais tout convergeait pour épargner à Genet le statut mineur d'écrivain pittoresque ou de cas littéraire.

1949 marque aussi la parution de Journal du voleur chez Gallimard, qui deux ans plus tard entame la publication d'œuvres complètes – toutefois expurgées –, entreprise unique du vivant d'un écrivain aussi peu connu du grand public. C'est dire le poids que pouvait avoir alors Jean-Paul Sartre dont l'essai, Saint Genet, comédien et martyr, sort l'année suivante, en 1952.

Le cinéma et le théâtre prennent la première place dans les préoccupations de l'écrivain qui, d'abord sans se l'avouer, puis de façon de plus en plus consciente, est paralysé par l'interprétation que Sartre a proposée et imposée de son œuvre et de sa vie. Comme en témoigne Le Balcon (1956, seconde version en 1962), son théâtre, hanté par une réflexion constante sur la représentation, les rôles, les masques, le vide, le spectre, le faux, la parade, le jeu, le rêve, l'imposture, le simulacre, le mensonge, se substitue à ses romans, satisfaisant plus immédiatement le besoin d'éclat, de panache et de formules poétiques, déjà présent dans l'œuvre narrative.

Mais surtout se dessine une profonde méditation politique, à mi-chemin entre le ton pamphlétaire agressif et la rêverie poétique : Les Nègres, rédigés en 1956 et créés trois ans plus tard, puis Les Paravents, publiés en 1961 (c'est le dernier livre édité de son vivant) et créés en 1966 par Roger Blin avec Madeleine Renaud et Maria Casarès au théâtre de l'Odéon, où ils provoquent un tollé, étant donné le sujet encore brûlant de la guerre d'Algérie. Ces pièces annoncent « le dernier Genet », l'homme engagé aux côtés des Black Panthers et des Palestiniens. Procès du monde des dominateurs « blancs », elles manifestent surtout un phénomène nouveau chez Genet. L'homme que sa sexualité et sa jeunesse « délinquante » avaient isolé dans une sorte de misanthropie anarchiste se reconnaît désormais dans un combat collectif qui va progressivement envahir son existence.

L'événement prépondérant de sa vie personnelle est la rencontre, en 1955, d'un acrobate de dix-neuf ans, Abdallah, auquel il dédie en 1957 son poème Le Funambule.[...]

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Jean Genet - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Jean Genet

<em>Les Paravents</em> de J. Genet, mise en scène de Roger Blin - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Les Paravents de J. Genet, mise en scène de Roger Blin

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