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GENET JEAN (1910-1986)

« L'ennemi déclaré »

Sans jamais abandonner des préoccupations esthétiques, comme le montrent de nombreux écrits sur Giacometti, Rembrandt, Leonor Fini, la cathédrale de Chartres, sans perdre de vue des ambitions cinématographiques (son scénario, Mademoiselle, a été réalisé en 1966 par Tony Richardson, et il travaillera à d'autres films, jamais tournés, comme La Nuit venue ou Le Langage de la muraille, tandis que R. W. Fassbinder adapte Querelle de Brest en 1982), Genet a consacré ses dernières années à l'activité politique, séjournant le plus souvent à l'étranger, notamment au Maroc où il est enterré dans le cimetière de Larache. Il est mort le 15 avril 1986 dans un petit hôtel du XIIIe arrondissement de Paris sans avoir achevé la correction des épreuves d'Un captif amoureux.

Genet s'est toujours défendu d'appartenir au monde, à « notre monde ». Cette absence d'attache, qu'expliquent les conditions de sa naissance, lui donna une indiscutable liberté dont il fit un usage privé, sexuel, littéraire et politique. « Sartre suppose la liberté de l'homme et que chaque homme a tous les moyens à sa disposition pour prendre en charge son propre devenir. Je suis l'illustration d'une de ses théories de la liberté. Il a pu connaître un homme qui, au lieu de subir, revendiquait ce qui lui a été donné, le revendiquait et était décidé à le pousser jusqu'à son extrême conséquence. »

Sous forme autobiographique, transmuée par la poésie ou le théâtre ou encore carrément polémique, dans son dernier livre, mais aussi dans les écrits politiques rassemblés par Albert Dichy, cinq ans après sa mort, dans L'Ennemi déclaré, il revendique cette position d'observateur et de provocateur, qui ne vit pas comme « les autres » vivent. Dès son premier roman, il écrivait : « Le monde des vivants n'est jamais trop loin de moi. Je l'éloigne le plus que je peux par tous les moyens dont je dispose. Le monde recule jusqu'à n'être qu'un point d'or dans un ciel si ténébreux que l'abîme entre notre monde et l'autre est tel qu'il ne reste plus, de réel, que notre tombe. Alors, j'y commence une existence de vrai mort. »

Dans son théâtre, surtout dans Les Paravents, qui fait apparaître des morts, Genet revient sur cette thématique poétique à laquelle il reste fidèle et qui lui permet d'assumer un excès systématique dans toute sorte d'affirmation, qu'elle soit sexuelle, esthétique ou politique. Son éloge de la trahison, de l'infamie, de l'abjection, accompagné d'une théorie paradoxale de la sainteté et de la beauté, le conduit à une véritable mystique poétique qui rend ses écrits politiques particulièrement difficiles à interpréter. Il en arrive à comparer les Palestiniens à la montagne Sainte-Victoire : « Que cherchent les peintres ? Que ce soit Rembrandt, Frans Hals, Cézanne ? Est-ce qu'ils ne cherchent pas le poids d'une réalité ? Est-ce que ce n'est pas ça ? Et ils l'ont trouvé [...]. Mais est-ce que vous ne sentez pas que le monde arabe en général n'a pas de poids ? Qu'il se soutient par la vertu de régimes autoritaires et même policiers ? [...]. Alors, les Palestiniens dans leur révolte ont pris justement ce poids – oh ! j'ai peur d'être très littéraire ! –, mais ils ont pris le poids des toiles de Cézanne. Ils s'imposent ! Chaque Palestinien est vrai. Comme la montagne Sainte-Victoire de Cézanne. Elle est vraie, elle est là. »

De la même manière, il réinterprète l'histoire de la lutte des Noirs en Amérique en termes de poème : « Les mots noirs sur la page blanche américaine sont quelquefois raturés, effacés. Les plus beaux disparaissent, mais c'est ceux-là – les disparus – qui forment le poème, ou plutôt le poème du poème. Si[...]

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Jean Genet - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Jean Genet

<em>Les Paravents</em> de J. Genet, mise en scène de Roger Blin - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Les Paravents de J. Genet, mise en scène de Roger Blin

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