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GIONO JEAN (1895-1970)

Le patient travail de la critique a fait justice des malentendus qui ont longtemps masqué la véritable portée de l'œuvre de Giono : écrivain régionaliste, puis « collaborateur », il aurait ensuite totalement changé de manière en imitant Stendhal. On mesure mieux aussi, maintenant, la richesse, la complexité et la profondeur de cette œuvre : poèmes, contes et nouvelles (Solitude de la pitié, L'Eau vive), essais, théâtre (huit pièces), traductions (surtout celle de Moby Dick), cinéma, nombreuses préfaces, articles réguliers dans les journaux régionaux durant les années soixante, mais avant tout les quelque vingt-cinq romans qui en sont la meilleure part. L'édition critique de ses Œuvres romanesques complètes ainsi que des essais, des poèmes, du journal dans La Pléiade, la publication des récits inachevés (du premier, Angélique, aux derniers : Cœurs, passions, caractères, Dragoon, Olympe) et de la correspondance avec l'ami de toujours, Lucien Jacques, ainsi qu'avec Gide, Guéhenno, Paulhan, ont jeté un éclairage nouveau sur une œuvre qui s'affirme comme l'une des premières du xxe siècle.

Giono a d'abord tenté de définir les conditions du « mélange de l'homme et du monde », mais il aboutit au constat de plus en plus amer de son impossibilité. À ce premier échec s'est ajouté celui de son engagement très actif dans le pacifisme, qui se solda par son emprisonnement d'octobre à novembre 1939. Un second séjour en prison pour « collaboration » en 1944 achève de le marquer ; désormais, il n'essaiera plus d'infléchir le cours de l'histoire. Dans les Chroniques d'après guerre, l'accent se déplace sur les hommes, que leur séparation d'avec la nature condamne à un radical ennui, et dont les passions monstrueuses répondent à la démesure inhumaine du monde. Parallèlement, Giono abandonne de façon progressive le lyrisme rustique et parfois emphatique des romans « paniques », pour un ton nouveau et un style où la concision, l'ellipse et des combinaisons narratives très subtiles attestent sa virtuosité et doublent le prodigieux poète de la matière d'un fascinant conteur. C'est là sans doute – avec le recours de plus en plus délibéré aux ressources des intertextes dont les réseaux inépuisables tendent à se substituer, comme champ d'expansion du désir, au réel devenu hors d'atteinte – ce qui assure l'originalité d'une œuvre si étrangère aux modes, et sa modernité : l'ivresse froide et souveraine, sensuelle et rythmique d'une parole tendue vers l'expression vitale des impulsions d'un matérialisme mystique, pour séduire le désir, le détourner du vertige de la mort en lui imposant cette préférence pour les formes.

Origines

Jean Giono est né à Manosque, le 30 mars 1895, d'un père cordonnier originaire du Piémont, dont la belle figure de guérisseur libertaire a marqué l'écrivain, et d'une mère repasseuse. Une aura mythologique entoure cette famille pauvre, dans Jean le Bleu ou dans Le Poète de la famille (1942), qui évoque sur le mode légendaire la famille de la tante Marguerite Fiorio ; quant au grand-père carbonaro, dit Jean-Baptiste, il est une des sources d'Angelo, mais occupe surtout une place capitale dans le scénario imaginaire que l'œuvre va déployer : prototype mythique d’un homme qui serait de plain-pied avec le réel, dût-il en mourir. La petite ville de Manosque devient un microcosme dont Giono se servira dans quantité de textes, directement (Manosque-des-Plateaux, 1930 ; Virgile, 1947) ou sous divers déguisements. Plus encore, la terre et les hommes de Haute-Provence le hanteront, quoiqu'il ait dit avoir peint un « Sud imaginaire ». En dehors des montagnes du Trièves, l'autre grand lieu de son inspiration, il ne quittera guère sa région que pour de rares[...]

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