GIONO JEAN (1895-1970)
Giono et la politique
Malgré ces réticences, Giono s'est engagé à gauche dès 1934. Le retentissement considérable de Que ma joie demeure a deux conséquences. L'essai Les Vraies Richesses (1936) réaffirme l'idéal d'une communauté rurale autarcique, mais contient un appel à la révolte contre la société industrielle capitaliste qui asservit le travail et « détruit les vraies richesses ». D'autre part, en septembre 1935, a lieu, autour de Giono, le premier rassemblement sur le plateau du Contadour (il y en aura neuf jusqu'à la guerre) qui va devenir un foyer d'antifascisme et de pacifisme.
Le pacifisme intransigeant de Giono et son hostilité grandissante à l'égard du stalinisme entraînent sa rupture avec les communistes ; elle se marque par la publication en 1937 de Refus d'obéissance. La même année, Batailles dans la montagne, vaste roman épique aux nombreux personnages, conte l'engloutissement d'une vallée par un déluge d'eau et de boue. Saint-Jean (comme Giono) est partagé entre la tentation de s'évader, tel Icare, dans les hauteurs de la création, où « rien ne se bat », et la participation au commun combat. Le dénouement, de nouveau, est amer. Dans l'essai visionnaire Le Poids du ciel (1938), l'auteur définit une position politique qui ne changera plus guère. Il y récuse avec force non seulement le fascisme, mais aussi le communisme soviétique par lequel il avait été tenté comme beaucoup d'écrivains de son temps. Il émet en effet une réserve majeure vis-à-vis des tentatives de suppression révolutionnaire de l'aliénation capitaliste, d'ailleurs violemment dénoncée : parce qu'elles perpétuent la « civilisation industrielle » technicienne (génératrice de guerre), celles-ci tiennent les hommes éloignés de l'obéissance aux lois cosmiques qui suppose une réinsertion dans le devenir universel. Seul le travail individuel et sensuel de la matière – celui du petit agriculteur indépendant et de l'artisan – autorise la participation au mouvement de transformation continu qui est le monde. Inversement, noyé dans les masses que manœuvre la volonté de puissance des « chefs », l'individu perd sa raison d'être et sa « beauté ».
Les « Messages » qui se succèdent jusqu'en 1939 (Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions, Recherche de la pureté) accentuent l'opposition de Giono aux totalitarismes en même temps que son refus d'une solution révolutionnaire. Le projet de roman des Fêtes de la mort, centré sur une insurrection paysanne contre la société industrielle, est abandonné en octobre 1938. Or ce renoncement à toute révolte active contre un ordre social qui dénature l'homme en le coupant de l'origine va avoir des conséquences considérables dans la suite de l'œuvre. Privée de débouché social, la force centrifuge individuelle aura tendance à se dépenser dans le jeu des passions, colorant du même coup la vision politique d'un scepticisme machiavélien (Giono va devenir, à partir de 1948, un lecteur très attentif de Machiavel) : « On assouvit une passion égoïste dans les combats pour la liberté » (Voyage en Italie, 1953). Désormais, le théâtre cruel des passions remplacera ou doublera celui des opérations. Ainsi dans Deux Cavaliers de l'orage (écrit de 1938 à 1942, mais publié en 1965). Détournée de la révolution, la force du désir s'invente un débouché narcissique : Marceau Jason, dit « l'Entier » (comme le cheval, symbole de la force élémentaire), aime son jeune frère Ange, son reflet apollinien. Mais c'est se soustraire à l'impératif du mélange avec le Tout. Les deux frères s'entretuent : la force détruit l'être double qui voulait orgueilleusement la thésauriser. Les passions, en tant qu'elles se substituent au libre jeu des forces du désir dans le réel et[...]
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Écrit par
- Laurent FOURCAUT : maître de conférences en littérature française
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