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GIONO JEAN (1895-1970)

Le cycle du « Hussard »

En 1945, Giono conçoit le projet d'une décalogie contant alternativement l'histoire d'Angelo Pardi, jeune colonel de hussards piémontais, exilé politique en France, et celle de son petit-fils, Angelo III, vivant en France en 1945. La confrontation des deux époques se ferait au détriment de la seconde : « Permettre par ce recul le sarcasme contre les temps actuels. » Le projet est abandonné en 1947, mais quatre des livres prévus voient néanmoins le jour. Dans Angelo (écrit en 1945), les désillusions politiques engendrent une très individualiste « poursuite du bonheur » sur le modèle de Stendhal, grâce à la « création personnelle » d'un climat passionné qui permette à la générosité du héros de s'épancher malgré tout, et à l'invention d'une âme sœur (Pauline) où il puisse à la fois projeter et recueillir son désir, comme dans un miroir.

Le problème s'aggrave dans Le Hussard sur le toit (écrit de 1946 à 1951). Le choléra qui ravage la Provence appelle une lecture plurielle. Il est d'abord l'insoutenable incandescence d'un monde qui dévore les formes (« les splendeurs barbares du terrible été »). Mais comme il est aussi la peur, l'égoïste repli sur soi que cette violence provoque chez les hommes, il devient, à l'échelle sociale, la barbarie dans l'histoire. Celle-ci suscite trois types de réactions : lâcheté et cruauté du plus grand nombre ; « résistance » de Giuseppe, le frère de lait d'Angelo, et de son organisation (les communistes), dont la volonté de puissance prend pour alibi « la liberté » et « le bonheur du peuple » ; Angelo enfin. Sa conduite chevaleresque, sa fidélité à un idéal de grandeur qu'il retrempe sans cesse, pour s'y égaler, au spectacle de la grandeur du monde réalisent un équilibre supérieur entre les deux autres tendances, dans la mesure où lui aussi combat le choléra sans toutefois être guidé par des motifs égoïstes (il agira de même dans Le Bonheur fou, dernier roman du cycle), et où, parallèlement, il se dévoue passionnément à Pauline de Théus sans céder à l'appel vertigineux et mortel du monde et de la femme (cette femme qui porte le prénom de la mère de l'écrivain, et dont il ne devient pas l'amant). Il aime et il se bat, mais jamais en pure perte. Pour ces deux raisons, il échappe à la troisième et principale forme du choléra : la maladie morale qui punit tous ceux qui, en « avares », économisaient leur désir et se recroquevillaient dans leur peur. Cette maladie les obligera à laisser s'exprimer d'un seul coup, dans une liquéfaction-explosion libératrice, l'océan et le feu intérieurs, double métaphore de la force intérieure retenue. Le cholérique est calciné par la fièvre, il se vide et devient bleu comme la mer. C'est à cette fascination de la perte que cédait Pauline vieillie dans Mort d'un personnage (achevé en 1946) parce que son désir était radicalement privé des formes habitables dont la perte d'Angelo symbolisait le manque atroce. L'amour d'un absent la conduisait à n'aimer plus que l'absence – à l'instar de l'écrivain, qui ne cessera plus de dire la jouissance amère du réel sur le mode de son manque ; or c'est la formule même de l'écriture, sur laquelle il a dû se replier une fois pour toutes, à son corps défendant.

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