GROSJEAN JEAN (1912-2006)
Né en 1912 à Paris, d'un père ingénieur des Arts et métiers, Jean Grosjean devient orphelin de mère à trois ans. Il fait une école d'agriculture et, adolescent, travaille dans la métallurgie au Perreux. Bachelier à vingt ans, il entre au séminaire (1933) et est ordonné prêtre en 1939. Il quitte l'Église dix ans plus tard et se marie en 1950. Le peu d'indications qu'il a données sur sa vie avant le temps de l'écriture souligne l'attirance pour le désert (voyages au Proche-Orient en 1936 et 1937), la retraite (1944, « six mois de solitude dans le Doubs »), et, pendant la guerre, l'expérience de la détention en Poméranie. Paradoxalement, cet homme secret, vivant dès qu'il le pouvait à la campagne (Avant-lès-Marcilly, dans l'Aube), appartient de plain-pied à la vie littéraire : lecteur pour Gallimard dès les années 1950, collaborateur régulier de la Nouvelle Revue française dès sa reparution (Nouvelle NRF) en 1953, il sera associé à la direction de la revue avec Dominique Aury et Marcel Arland à partir de 1967, lorsque Jean Paulhan s'en retire, et le restera auprès de ses directeurs successifs. Plusieurs de ses livres ont été salués par des prix : le prix de la Pléiade en 1946 (Terre du temps), le prix Max Jacob en 1954 (Fils de l'homme), le prix des critiques en 1967 (Élégies).
L'historien de la littérature pourra s'arrêter à la longue et singulière connivence entre Jean Grosjean et son éditeur quasi exclusif, qui fut donc aussi son employeur : Gallimard. Compagnon de captivité, avec Roger Judrin, de Claude (le fils du fondateur de la maison, Gaston), introduit par André Malraux qu'il avait aussi connu pendant la guerre, il est d'abord publié dans la collection de Jean Paulhan, Métamorphoses. Ses premiers critiques dans la NRF seront Georges Lambrichs (dès le no 1, janv. 1953), Georges Perros, et il pourra compter plus tard sur l'admiration de J.-M. G. Le Clézio. Il semble que l'on ait créé tout exprès pour ses proses un format de livre étroit, immédiatement reconnaissable ; La Gloire (1969) constitue l'exemple rare d'un ouvrage de poésie publié d'emblée dans la collection de poche Poésie-Gallimard ; ses traductions (les tragiques grecs et, avec son ami Michel Leturmy, le Nouveau Testament) ont paru dans la Pléiade ; il a également accepté de contribuer aux collections de Gallimard pour la jeunesse (la petite anthologie thématique Dieu en poésie, 1984) .
L'œuvre de Jean Grosjean se divise en deux parts à peu près égales, de « poèmes » et « récits ». La première s'inaugure avec Terre du temps, en 1946 : des notes remises par Malraux à Gallimard et qui deviendront son premier livre. La seconde, plus tardive, s'ouvre avec Clausewitz, en 1972, prose brutale et brève, semée de dialogues – qui marque une inflexion vers le simple, quand le poète avait d'abord marqué une nette attirance pour le grand style épique. Aussi le général prussien devient-il ici la figure d'une sorte de conversion. « Le prophète Elie et le général Bonaparte sont monotones à force d'éclats et assez vite vaincus. Le messie saura renoncer aux prodiges et l'écrivain ne rien afficher que d'ordinaire. Tout son secret sera de laisser entendre combien est fragile le bon sens qu'il arbore », lui confie l'un des personnages, au vu de ses manuscrits. Le récit suivant ne choisit pas par hasard sans doute Le Messie (1974) – où le miracle sera de limpidité, dès l'incipit : « Jésus marchait sous les étoiles. Il ne se réhabituait à vivre qu'avec précaution... »
De cette « fragilité » bien mal servie par les doctrines, les théories, les systèmes, la langue en son exactitude sera la seule expression fidèle : celle d'une « attitude » bien plus que d'une vérité, avec ce que le mot a d'impersonnel.[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
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