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GUÉHENNO JEAN (1890-1978)

Universitaire et essayiste, Jean Guéhenno reste à travers son œuvre un fils du peuple. Né dans une famille ouvrière de Fougères, il met d'abord son énergie à se dégager de cette origine. Mais, dès qu'il y réussit, il est tourmenté par ce reniement ; il ne cesse d'invoquer le pardon de ses frères et sœurs. Ses livres reviennent sur l'opposition entre le peuple et la culture, comme sur une obsession qui est aussi sa contradiction fondamentale. Dans des essais sur Michelet (L'Évangile éternel, 1927) et sur Rousseau, il analyse, chez ces auteurs qui lui sont proches, les rapports entre une origine populaire et une culture bourgeoise. Avec Caliban parle (1928), il tente de s'engager du côté des dépossédés, mais la perspective d'une culture prolétarienne et révolutionnaire l'inquiète. Cet intellectuel redoute en effet le volontarisme d'une culture populaire. Aussi se lance-t-il dans une démonstration du caractère révolutionnaire de toute culture. Dans Conversion à l'humain (1931), il adhère à un humanisme qui ne serait pas au service des classes possédantes, et, dans Jeunesse de la France (1936), il soutient que la France et sa culture ont toujours été révolutionnaires, aussi bien chez Montaigne que chez Descartes ou Rousseau. Mais c'est peut-être là pousser un peu loin le besoin de conserver la culture bourgeoise, par-delà un engagement au service du prolétariat qui ne le satisfait pas entièrement. Dans la revue Europe qu'il dirige jusqu'en 1936, il professe un profond pacifisme qui l'éloigne parfois des luttes sociales réelles. Ses articles de Vendredi et du Figaro, depuis la Libération, l'orientent encore davantage vers des prises de position humanistes. Et les deux volumes d'essais autobiographiques, Journal d'un homme de quarante ans (1934) et Aventures de l'esprit (1954), s'ils reprennent les mêmes thèmes du déchirement entre son origine et sa culture, témoignent d'un humanisme croissant, c'est-à-dire de la foi en la culture pour le progrès de l'homme et de la société.

— Antoine COMPAGNON

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis

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